e III – Les Polonais et la guerre
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ToggleL’imposition spéciale, pendant l’Occupation
1er épilogue (de 1981) : une démarche infructueuse, mais une unanimité inédite
1) Notre mémoire sur l’imposition spéciale fut adressé à l’ensemble des maires du Bassin potassique, ainsi qu’aux conseillers généraux et régionaux, et aux parlementaires concernés par le secteur, au nom de la totalité des élus municipaux d’origine polonaise du Bassin, soit neuf personnes, qui se solidarisèrent sans difficulté de la revendication.
2) Celle-ci fut également soutenue, à l’unanimité, par le Syndicat intercommunal à vocation multiple (Sivom de 12 communes) du Bassin potassique, préfiguration des intercommunalités instituées ultérieurement.
3) L’organe était alors présidé par un professeur agrégé d’histoire, par ailleurs maire (socialiste) de Wittenheim (1977-83), d’origine lorraine, (+) Bernard Reimeringer, qui devint bien plus tard (à partir de septembre 87) un collègue et un ami, à l’UHA (Université de Haute-Alsace, à Mulhouse).
4) Mais le Syndicat prit trop tard, le 07-10-81, sa motion de soutien à notre démarche, pour qu’elle soit de quelque influence réelle immédiate, dans la mesure où les diverses interventions faites par les élus avaient déjà, à cette date, subi la fin de non recevoir du nouveau ministre des Relations extérieures Claude Cheysson.
5) De ce dernier, on a espéré, mais en vain, qu’ayant fait une partie de sa carrière professionnelle à la tête de l’EMC (Entreprise minière et chimique), et qu’ayant en tant que tel eu à connaître des Mines de potasse, il ferait montre à l’égard des mineurs polonais (rares), et ex-polonais (nombreux), d’une plus grande ouverture d’esprit que ses prédécesseurs.
6) En effet, le Journal officiel du 28-09-81 venait de publier la réponse du ministre, reprenant purement et simplement les positions négatives antérieures, à la question écrite qui lui était posée par le député Pierre Weisenhorn (gaulliste, circonscription de Thann-Altkirch, ancien pharmacien à Illfurth, dans le Sundgau, et qui était en charge de représenter les communes minières de Wittelsheim et Staffelfelden, où l’exploitation était encore en cours.), le 31-08-81.
7) Nous reproduisons ci-dessous intégralement la teneur de cette question et de cette réponse.
8) Question. « –Monsieur Pierre Weisenhorn attire l’attention de M. le ministre des relations extérieures sur le problème des indemnisations des ressortissants polonais et les Français d’origine polonaise de l’Est (départements d’Alsace-Lorraine) qui attendent depuis la Libération d’être indemnisés pour la taxe spéciale que leur imposait le régime nazi durant toute la durée de l’Occupation. La situation de cette population était alors la suivante : tous les ressortissants polonais travaillant dans les départements de l’Est de la France, et qui refusaient le titre de nationalité « Deutsch-Pole » », étaient du fait même sanctionnés dans leur salaire sous la forme d’une retenue de 15 p. 100 du traitement brut. Il lui demande quelles démarches il entend entreprendre afin d’obtenir une réparation pour les spoliés encore vivants, ou, à défaut, pour leur conjoint survivant, réparation qui soit à la fois morale par la reconnaissance d’une violation du droit des gens en les forçant à changer de nationalité, mais également réparation pécuniaire pour indemniser cette catégorie de Français du préjudice subi du fait de l’occupant nazi. »
9) Réponse. « – Le Gouvernement français est très conscient du préjudice moral et financier qu’ont subi les ressortissants polonais qui, travaillant dans les départements alsacien et lorrain occupés, ont été sanctionnés d’une retenue de 15 p. 100 sur leur traitement brut parce qu’ils refusaient le titre de nationalité Deutschpole. Il n’est cependant pas possible, actuellement, d’envisager une indemnisation de ces personnes. La responsabilité de l’Etat français ne peut être engagée, l’Alsace-Lorraine étant malheureusement, à l’époque, sous le contrôle effectif de l’ennemi. Le Gouvernement français ne peut pas non plus exercer auprès des gouvernements allemands sa protection diplomatique, les intéressés n’étant pas, au moment des faits, de nationalité française. Une indemnisation ne pourrait donc être demandée qu’aux deux Etats allemands dans le cadre des répartitions de guerre. Or, les accords de Paris du 23 octobre 1954 ont prévu dans l’article 1er du chapitre VI de la convention sur le règlement des questions issues de la guerre que « la question des réparations sera réglée par le traité de paix entre l’Allemagne et ses anciens ennemis ou par accords antérieurs relatifs à cette question. Depuis lors, la République fédérale d’Allemagne s’est toujours retranchée derrière cette disposition pour ne pas verser de réparations à un pays quelconque. La R.D.A., de son côté, a toujours refusé de se considérer comme successeur du IIIè Reich, et donc d’être tenue d’indemniser les victimes des agissements de celui-ci. »
10) A prendre aujourd’hui cette réponse avec un minimum de décontraction, sa morale nous paraît que sur ce dossier polonais, malheureusement, nos ministres des Affaires étrangères se suivent et se ressemblent, quelle que soit leur obédience politique, aucun n’ayant voulu considérer que la France pouvait prendre en compte la revendication des Polonais dès lors qu’ils sont massivement naturalisés. La question reste donc d’actualité : un naturalisé est-il un Français de seconde classe, un sous-Français ?
11) En revanche, notre satisfaction, dans cet épisode de militantisme pro-polonais que nous avons animé sur la conviction que des citoyens à la culture double sont un enrichissement pour un pays, a été l’unanimité avec laquelle les élus du Bassin potassique ont relayé notre requête, prenant fait et cause pour elle, après, il est vrai, notre « conférence » de presse du 13-04-81 en mairie de Pulversheim, présidée par le premier magistrat local d’alors M. Pierre Meyer, un moment dont les quotidiens régionaux se firent l’écho, ainsi même que l’organe de presse lensois en polonais « Narodowiec » (fr : « Le National »), et qui a eu un certain retentissement.
12) Notre regret aujourd’hui est de penser que les capitaux demandés en réparation auraient par exemple été bien utiles à l’Union « Millenium », à Wittelsheim, dont nous reparlerons plus loin, lors du transfert de l’ancienne « baraque » polonaise dans ses nouveaux locaux de la rue de Reiningue, pour l’aider à construire un projet culturel au moins en partie d’expression polonaise vivant, innovant et d’avenir, de nature à séduire en particulier les générations montantes issues de l’immigration des années 1920, les 4ème, 5ème, et déjà 6ème !
13) Le produit de l’indemnisation aurait pu servir à réaliser le projet immobilier exposé dans notre article dans « L’Alsace » du 29-07-84 réédité sur ce blog avec l’article intitulé : « Il y a 40 ans, vers une nouvelle maison polonaise » ; les nouveaux locaux qui étaient à construire auraient pu héberger un véritable Centre de la Danse, sous toutes ses formes, à commencer par la danse folklorique polonaise, mais aussi alsacienne : les groupes en activité ne manquaient pas, qui avaient besoin de structures modernes adaptées pour se développer ; par extension, on aurait pu imaginer tout bonnement un Centre des Cultures Immigrées en Alsace, populaires ou savantes, venues de tous horizons, en particulier les cultures arabes, noires, asiatiques ; en fait, il aurait fallu financer, à partir de l’essor qualitatif constaté de l’Ensemble local « L’Aigle blanc » (sous la présidence de François Blaszczyk, entre autres mon ami d’enfance, mais pas seulement), un équipement du niveau du Relais culturel de Thann ; mais il est vrai que le maire Arnold n’était pas le sénateur-maire Schielé, et que Wittelsheim n’était pas comme Thann chef-lieu d’arrondissement, ville de Sous-Préfecture, gérée et représentée par un parlementaire, et qui plus était remarqué pour sa « tchatche » (ou : « grande volubilité », dixit Robert)…
14) Le contenu et les modalités au fond eussent été secondaires, pourvu qu’on ait créé un centre d’excellence culturelle à Wittelsheim, de culture véritable, qui donne envie de s’y arrêter, au lieu de simplement y passer, une sorte de Kirrwiller de la diversité, un pôle décentralisé par rapport aux centres attrape-tout de Paris, Lille, Strasbourg, et Mulhouse, qui eût illustré ce qu’à été constamment ma devise politique tant que j’ai milité pour un après-mines décomplexé et prospère : le Bassin potassique par lui-même, et au meilleur niveau ; il n’y aurait pas eu à soulever tant de montagnes que ça, pour réussir quelque chose de valable (pour employer l’adjectif favori du Général), et sans dévorer des montagnes d’argent public, français ou étranger.
15) Aux élections législatives de 81, en juin, au second tour, « Mulhouse-Ville », 5ème circonscription du Haut-Rhin, a porté à la députation un jeune « socialiste », Jean-Marie Bockel, fils du notaire, très établi, à la résidence de Thann. Nous espérions que le nouveau gouvernement serait plus enclin à écouter notre revendication que les précédents, de droite. Comme conseiller municipal de Wittelsheim élu en 77 sur une liste « d’Entente communale » conduite par un centriste, je venais ainsi de me démarquer en appelant publiquement à voter, dès avant le premier tour de la présidentielle, pour Mitterrand. (+) René Hitter, secrétaire de section du PS à Wittelsheim a réussi à obtenir un rdv avec le nouveau parlementaire dès le 6ème jour suivant son élection, le samedi à 11h, avenue Robert Schuman, à son cabinet d’avocat. Nous avons été reçus comme des importuns, froidement, plusieurs fois la limite de l’impolitesse étant franchie, avec un maximum de réticence, par un député qui n’avait pas envie du tout de s’encombrer d’un dossier qui ne relevait pas strictement de sa circonscription. Bockel nous a ouvert sa porte parce qu’il ne pouvait pas ne pas recevoir Hitter, au nom de leurs accointances scoutes passées. (+) Czeslaw Rozek, qui nous accompagnait, était, le pauvre, dépassé, largué, et il ne pouvait pas en être autrement, car il ne s’en sortait pas, en français. L’autre (+) Czeslaw, de l’expédition, Blaszczyk, mon prédécesseur au Conseil, faisait des yeux ronds, incrédule et déjà cruellement déçu, devant ce « camarade » qui pendant la campagne présidentielle s’était engagé à « changer la vie », et qui faisait déjà dans la muflerie alors que le septennat n’avait pas encore convenablement commencé ; clairement, venant de la potasse, on n’était pas assez bien pour lui : ça promettait, pour la suite (et dire que j’ai enduré cela sept ans, espérant toujours que ça s’arrangerait, avant de claquer définitivement la porte, fin mai 88 : des « pseudo-socialistes » comme Bockel n’étaient décidément pas qualifiés, sociologiquement, pour parler en notre nom, de prolos). Hitter pareil : il était effaré et angoissé (un grand angoissé) par la tournure négative que prenaient les choses, devant un Bockel, vrai hautain héron tout droit sorti de La Fontaine, dont il avait pourtant été l’instructeur, qui ne voulait décidément rien comprendre au problème, et à ce qu’on attendait de lui, qu’il use de persuasion en notre faveur à Paris, pour une cause qui ma foi « tenait la route ».
16) Tant pis pour les rêveurs, les idéalistes, les utopistes : la politique est une salope, c’est comme ça. J’entrevoyais, moi aussi navré, que le socialisme à venir ne serait pas socialiste, car socialisme bourgeois et non pas ouvrier, socialisme de droite et non pas de gauche, des nantis et non pas des démunis. Ma trajectoire politique bloquée m’aura au moins appris ceci : on n’est jamais assez à gauche. Ni en France, ni ailleurs. L’inamovible personnage principal de la fable électorale, c’est l’imposteur, l’usurpateur, le tricheur.
17) Le PS de Wittelsheim, douché, a tout de suite compris que l’opération indemnisation des 15% ne produirait aucun résultat, une fois de plus, une dernière fois. Et qu’il fallait craindre le ressentiment des Polonais qu’on avait réussi à convaincre de voter pour Mimi, avec une vaine promesse, contre leur pente naturelle chrétienne-démocrate, autrement dit de centre-droit.
18) Au Parti, localement, on a alors cherché par tous les moyens à « sauver les meubles », à pouvoir absolument dire que le nouveau régime faisait quelque chose, et de bien, pour les « Polonais » (et leur satanée culture), et qu’il était donc en effet meilleur que le précédent. Et on allait tomber de Charybde en Sylla.
19) Le futfut-futé de service a été Groh, l’attaché parlementaire de (+) Weisenhorn, le gaulliste du Sundgau. Il ne nous a pas laissé le temps de persuader nos interlocuteurs ministériels que dans cette affaire des 15% ils devaient changer fissa leur fusil d’épaule ; il a réussi à nous couper l’herbe sous le pied en faisant savoir dans la presse régionale le plus vite possible que Cheysson nous a autant envoyé promener que les ministres de son bord, et que donc le nouveau règne allait être mauvais, qu’il n’y avait rien à en attendre. On n’était pas encore en juillet 81 que déjà notre belle crédibilité toute neuve volait en éclats : merci bien les socialos locaux, de la rue de Solférino, et du « Château » !
20) Notre illustration : photo de juin 89 montrant deux profs intervenant à l’UHA en Formation continue pour adultes, (+) Bernard Reimeringer et moi, qui partagent la joie de leurs jolies élèves qui fêtent un nouveau diplôme méritoirement acquis, un équivalent du bac, qui leur donne accès à l’enseignement supérieur, ce à quoi elles aspiraient depuis longtemps ; la publication de ce cliché constitue pour moi une occasion à ne pas rater de rendre hommage à un élu du Bassin potassique qui avait instinctivement une haute conscience des valeurs historiques et patrimoniales à défendre.
21) Terminé de rédiger par fsz le 15-02-24 ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).
Je me replonge avec plaisir et intérêt dans ces souvenirs, il est temps de dire aussi nos déceptions et ceux qui nous ont trahis ! Nos projets culturels étaient ambitieux, et les combats menés par des militants (dont mon père) cherchant a réparer l’insulte des retenues de 15% pendant l’occupation, n’ont pas émus nos nouveaux élus de l’époque ! on n’est trahi que par les siens, finalement. Magnifique photo de M. Reimeringer qui, avec toi et Monsieur Dabèche, m’ont ouvert des chemins à l’époque de l’Eseu. De plus, le hasard fait que je connais aussi la personne qui se trouve à ta gauche. Décidément, le monde est petit…
Vif merci pour ta réaction. Quand j’ai choisi la photo pour montrer, quelque part, au moins une fois la bobine de Bernard, par gratitude à son égard comme président du « grand » Sivom, je l’ai choisie avec un certain sourire intérieur, car je savais que nous y avons une connaissance commune; au fait, est-elle à ma gauche, ou à ma droite? tu sais bien que plus ça va, et plus je suis à gauche…