e III –

Souvenirs pour les 3 et 8 mai :

Krupinski et Zawierta, résistants polonais, sont morts ! (quand même !)

par fsz  site polonais-et-potasse.com

   – Rappel : le 3 mai, c’est la fête nationale polonaise ; le 8 mai, c’est la commémoration de la capitulation nazie.  

  1) Comme d’autres, ailleurs, les Polonais venus travailler dans la région mulhousienne pendant les années 1920 n’ont pas bravé l’ordre établi, bon ou mauvais, ni pendant l’Occupation, ni du reste avant, ni après : on n’était pas là pour se faire remarquer, on avait à se tenir tranquilles,… en même temps que sur ses gardes, et puis c’était tout.

   2) Sur cet arrière-plan général, se détachent cependant des exceptions : un tout petit nombre de Polonais, l’occasion faisant le larron, sans vocation héroïque particulière, ont activement pris part, en patriotes de base, à des actions subversives contre les Allemands, ou se sont réellement risqués à faire comprendre leur aversion à l’égard de la domination subie. Il y a eu aussi, ici comme ailleurs, inévitablement, le groupe, plus fourni bien sûr, de ceux qui se découvert des âmes, et « des états de service de résistants-passeurs… » après la guerre…

   3) Ceci étant, il n’en reste pas moins que deux Polonais du Bassin potassique, au demeurant sans aucun lien entre eux, un homme et une femme, un ecclésiastique et une laïque, ont effectivement et carrément payé de leur vie leur participation indiscutable à la résistance secrète contre le nazisme ; au moment du sacrifice suprême, il venait d’avoir  à peine 32 ans, elle venait d’en avoir à peine 39 ; ils demeurent, en quelque sorte, nos Jean Moulin, du cru, à nous, Alsaciens d’origine polonaise, l’un en soutane, l’autre en jupon !

 

Le curé Marian Krupinski

   4) Marian Krupinski, originaire du diocèse de Poznan (all : « Posen »), né le 06-12-1909, était le curé des Polonais de F68270 Wittenheim, au début de l’Occupation.

   5) Il a été actif dans une filière qui faisait passer en Suisse, pays neutre, des compatriotes prisonniers de guerre évadés.

   6) Il a eu pour complice de réseau son collègue de  F68310 Wittelsheim et Staffelfelden-Rossalmend, Ignacy Neumann.

   7) Tous deux, mystérieusement trahis dès février 1941, ont été internés au camp de concentration de Dachau (près de Munich), le 20-06-41, Dachau où les clercs  polonais ont été déportés massivement, venus de Pologne même ou de la diaspora, avec une forte mortalité.

   8) Neumann a eu la chance de rentrer de captivité vivant, mais Krupinski, à force de mauvais traitements, y est décédé, le surlendemain de Noël 1941, le 27 décembre, finalement liquidé, après six mois de calvaire, d’une piqure de poison, et son corps a été incinérée dans un four crématoire.

 

La scoute Louise Zawierta

   9) Louise (pol : « Ludwika ») Zawierta, née Noga le 04 février 1905, dans les environs de Lwow (alors métropole intellectuelle et culturelle d’un certain lustre, glissée en actuelle Ukraine de l’ouest sous le nom de « Lviv » après la deuxième guerre mondiale) habitait dans la cité Langenzug, à Wittelsheim, au numéro 4 de la rue du Coucou, avec son époux Joseph (né le 15-03-1897), mineur de fond précocément promu surveillant, et leurs deux jeunes enfants, Irène (diminutif pol : « Irka », 1929-2020), future épouse de Pierre Spieth,  et Lucien (diminutif pol : « Loutssi », décédé en 2018).

   10) Louise, dans le milieu polonais local de l’entre-deux guerres, était connue pour sa personnalité bien au-dessus du lot ; animatrice scoute, elle exerçait de l’ascendant sur ceux qu’elle côtoyait, une vraie cheftaine ; engagée dans  « l’armée polonaise secrète »(sigle en pol : AK, ou Armia Krajowa, dite aussi « Armée de l’Intérieur ») dès 1941, sur l’axe polono-alsacien Katowice-Mulhouse, elle a été une résistante engagée à fond, constamment en opération, quel que fût le danger, réalisant un important travail d’agent de liaison et de renseignement au bénéfice des Services secrets britanniques en Suisse, qui transmettaient leurs informations au gouvernement polonais en exil à Londres.

   11) Dénoncée, à trois mois seulement du débarquement allié en Normandie par lequel a commencé la Libération, elle est incarcérée à la prison de Mulhouse le 7 mars 1944 ; probablement torturée, ou au moins menacée de torture, elle s’est suicidée le 10, pendue à la poignée de la porte de sa cellule, suivant la version officielle de la Gestapo (Mais on n’en aura jamais la certitude absolue ; elle a aussi bien pu être assassinée par ses geôliers, car il reste pour le moins curieux que, pour passer à l’acte, elle disposait encore des lacets de son corset, au 4ème jour de sa détention, et alors qu’elle avait affaire à des gardiens censément aguerris, dont elle ne devait pouvoir tromper la vigilance d’aucune manière !) ; elle a été inhumée par les nazis la nuit, à la sauvette, dans un simple sac de pommes de terre ou de charbon, dans la partie catholique du cimetière central de Mulhouse, rue du maréchal Lefèbvre, où elle repose toujours.

   12) L’arrestation de Louise n’a pas eu, dans les jours suivants, de conséquences bien visibles, si bien qu’on peut considérer comme à peu près certain qu’elle n’a livré personne.

   13) La disparition de Mme Zawierta a suscité un traumatisme très fort et très durable dans la « communauté » polonaise de Wittelsheim, et au-delà ; de nombreuses versions des faits, plus ou moins crédibles, ont eu leur cours, dans les chaumières, pendant les veillées ; l’héroïne n’a cependant pas été unanimement louée, mais aussi, ici ou là, méchamment diffamée ; si bien que les deux orphelins, qui n’avaient vraiment pas besoin de cette souffrance supplémentaire, ont pendant de longues années considéré le « cas » de leur mère comme le sujet-tabou par excellence.

   14) Après-guerre, de justes honneurs posthumes, ont été rendus à cette grande militante ; la Pologne l’a décorée de l’Ordre « Virtuti militari », la plus haute distinction militaire polonaise ; la France l’a déclarée en 1949 « Morte pour la France », et lui a conféré  en 1950 le grade d’adjudant dans notre armée.

   15) Notons que, parce qu’un arrangement administratif avec la vérité a été jugé opportun, pour gérer et faire entrer Louise dans les cases établies sur les formulaires des dossiers, on l’a abusivement rattachée au réseau « Monika » (ou Monica) du POWN ou  Polska Organizacja Walki o Niepodleglosc (« Organisation polonaise de lutte pour l’Indépendance »).

 

Où leur rendre hommage ?

   16) Marian : une plaque commémorative du tragique destin du curé Krupinski, caractères dorés en latin sur marbre blanc légèrement nervuré, a été placée le 13-08-1950, pour la fête de l’Assomption donc, en l’église Ste-Barbe de la cité minière de Wittenheim-Théodore, à la droite du tableau-copie de la Vierge noire polonaise de Czestochowa, après une cérémonie solennelle de pseudo-funérailles, pour « mort sans sépulture » (suivant la formule, commode ici, de Sartre), puisque sans dépouille mortelle. Nous traduisons ici en français le texte de l’ex-voto : « En mémoire de Don Krupinski Marian, aumônier des Polonais, né le 6-12-1909, qui a donné sa vie pour sa foi et par charité pour son prochain, au camp de Dachau, le 27-12-1941. (Les) Polonais reconnaissants. »

   17) Ludwika : les repères topographiques de la tombe de Louise, et de son époux, qui l’a rejointe dans l’éternel repos en 1951, sont les suivants : à la droite de l’allée centrale, carré NN, rangée 2, tombe n°6; les enfants d’Irka, Nadine Cosnier (née Spieth) et Roland Spieth, professeurs retraités, ont restauré récemment le monument (avec notamment de nouvelles inscriptions de la main même de Nadine) et renouvelé la concession pour trente ans.

   18) Autres objets commémoratifs.

  1. a) Fait exceptionnel dans la descendance de notre immigration polonaise potassique : en 2018, après le décès de son oncle Lucien, Nadine a pris personnellement la plume pour fixer le souvenir de sa grand-mère, dans une émouvante et précieuse monographie de vingt-quatre feuillets de format A4, en principe à usage d’abord familial, intitulée « Le sac brun »;
  2. b) elle a en outre fourni à son amie Marion Muller-Colard, rencontrée au cours d’une nuit de réveillon de la St-Sylvestre ! l’inspiration biographique de base d’une version ensuite librement  romancée de l’histoire de sa parente, parue chez Gallimard (quand même…) sous le titre de « Wanted Louise » ;
  3. c) en complément, une plaque aux couleurs polonaises, rouge en bas et blanc en haut (l’inverse du drapeau alsacien, par savoureuse coïncidence), facilement repérable à presque 10 mètres, a été fixée le mois dernier sur la chape de la tombe pour les 79 ans de la mort, avec l’inscription : « Grati Poloni –Polonais reconnaissants » (par analogie voulue avec la fin de la dédicace de l’ex-voto consacré à Krupinski) ; pour bien accomplir ce geste d’ hommage, ce sont les frères Blaszczyk, François, ancien président du groupe folklorique polonais « L’Aigle blanc », et son cadet Marc, qui se sont concrètement et amicalement mobilisés, sur ma sollicitation, en anciens scouts dignes héritiers spirituels de leur père « Czeslaw » (1933-2017), en son temps promoteur fortement notabilisé des bonnes causes polonaises ; à noter que les frangins ont naguère habité le logement en face du 4 rue du Coucou, Marc y est même né (au n° 3), en 1959 !

 Est enfin à mentionner ici le rôle incitatif bien sympathique et réel joué par deux fidèles amies d’Irka, Rose-Marie Michta-Kups, et Danielle Albouy-Kufel, dans le mouvement de réhabilitation de la vénérable tombe.

   19) Il convient de se rendre si possible sur place, pour rendre hommage, un hommage d’une nécessité permanente, hélas, au vu de l’actualité internationale, à nos deux héros patriotes, et martyrs de la Liberté.

   20) En confidence : depuis des années, subjectivement et automatiquement, quand je pense à Ludwika, s’impose à moi l’image de l’actrice Simone Signoret, cette grande figure de son art, qui joue le rôle d’une importante résistante à la fin tragique dans le film d’ Henri Verneuil, inspiré par le livre de l’académicien Joseph Kessel, « L’armée des ombres » ; tout breveté, bachelier, étudiant de France doit avoir vu, et même revu, cette réalisation, qui restitue magistralement l’atmosphère d’impitoyable cruauté dans laquelle a baigné la clandestinité antinazie ; on croit ressentir bien mieux, après la projection, ce qu’a dû-pu être l’intrépide et fiévreuse geste de notre Polonaise de Wittelsheim.

 

Illustrations

   21) Pour illustrer visuellement notre évocation de ce jour de Krupinski, nous avons retenu :

  1. a) la page entière de compte-rendu parue en 1950 dans « La Gazette des Mines », périodique d’entreprise alors externalisé, sur la fameuse cérémonie du souvenir dédiée au prêtre disparu (document de René Giovanetti) ;
  2. b) le portrait considéré comme « officiel » de Krupinski, édité, suivant la forte mode des années trente, en tant que carte postale (document de François Kutermak, parvenu via Alfred Kaluzinski) ;
  3. c) l’article rédigé par Maurice Haffner (voir la notice biographique établie pour ses 80 ans, en septembre dernier, dans notre rubrique de ce blog « Le coin des amis ») pour le mémoire-papier très consistant du centenaire de la cité minière Ste-Barbe-Théodore, édité sous l’égide de l’ASCT (ou Association de sauvegarde du chevalement Théodore) ;

   au milieu de cette page, une vue, assez lisible (ce qui est rare !), de l’ex-voto dédié au martyr, installé à la droite de la copie de la Vierge noire de Czestochowa, en l’église Ste-Barbe (autel secondaire, à la gauche du maître-autel).

   22) Pour illustrer visuellement notre évocation de ce jour de Zawierta, nous avons retenu :

  1. d) la fascinante photo, que je tiens de ma mère (je ne saurais dire comment il se fait qu’elle l’avait), et que j’intitule « Louise à la baignade »; notre héroïne, d’une grande présence, complètement elle-même, tout à droite, semble, de son geste de la main, nous saluer ; au premier plan, tout à gauche, nous avons Joseph, son mari ; tout semble si paisible, au bord de ce plan d’eau ; et dire qu’elle menait, ou allait mener, une si dangereuse double vie !  
  2. e) un de nos clichés du 18-03-23, du tombeau des époux Zawierta, récemment rafraîchi, dont nous espérons qu’il sera inclus comme station, optionnelle, du parcours patrimonial dit  « la route de la potasse » ; retrouver les repères topographiques en 17) ; on y ajoute un zoom sur les inscriptions « new look », manuscrites, créées par Nadine (voir également en 17) ; à droite accroupi, c’est Marc bk qui désherbe, avec application, le pourtour de la sépulture.
  3. f) un plan, partiel, du cimetière central catholique : un léger fléchage indique l’itinéraire à suivre pour se rendre sur la tombe.

——————————————————————————-

   23) Fait le 07-04-2023, vendredi saint ; remanié le 01-11-23, jour de la Toussaint ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).

—————————————————————————–

Laisser un commentaire