e III – Les Polonais et la guerre

2ème épilogue (de 1982) : On veut « du bien » aux Polonais, mais la revendication des 15% est perdue de vue.

   1) Avant de se plonger dans le présent texte, on gagnerait sûrement à relire celui qui le précède logiquement, sous le titre de « 1er épilogue (de 1981) », disponible sur ce blog.

   2) En 1981, ce n’est que trop évident à mes yeux, notre revendication a buté contre le sentiment des Relations extérieures » qu’il ne fallait surtout pas introduire le moindre petit nuage dans le ciel d’azur officiellement idyllique du « couple franco-allemand », socle des progrès de la construction européenne ; après Giscard-Schmidt indissolublement soudés devant toutes les télés, on allait avoir, « ejusdem farinae » (sic ) (fr : de la même farine), Mitterrand-Kohl, main dans la main à Verdun.

   2) On savait donc, dès l’été 81, que la messe était dite, qu’on n’obtiendrait pas un radis de réparation allemande.

   3) René Hitter, qui avait sincèrement envie d’apporter quelque chose de bien au service du particularisme polonais local, a imaginé, au PS de Wittelsheim, avec l’aide d’autres bienpensants inspirés, pour que le Parti ne perde pas totalement la face, et pour le sortir de la position intenable de celui qui promet mais ne tient pas, a catalogué toute une série de revendications de substitution, qu’il a consignées dans une lettre à Jean Laurain (ancien des MJC, et de la CGT, à ne pas confondre avec son homophone (+) Jean-Louis Lorrain, sénateur centriste du Haut-Rhin de 1995 à 2004), nouveau ministre des Anciens combattants, du 12 mars 82 ; nous la reproduisons intégralement ci-dessous ; bref, sachant la revendication des 15% perdue dans les sables, on la remplacée, à titre de lot de consolation, par un inventaire à la Prévert ; bref : ne pouvant être juste, les socialos se sont appliqués à être confus-fourre-tout, à noyer le poisson de leur propre échec, à se faire entendre de leurs propres dirigeants.

   4) Par pitié humanitaire à l’égard desdits socialos, on ne dira évidemment pas ici qu’aucune des demandes faites n’a abouti à rien ; on s’est retrouvé devant cette vérité nue absolue : la gauche n’en a rien à foutre des Polaks potassiques : une sacrée couleuvre à avaler, j’ vous dis pas…

   5) Laurain a fait parvenir un accusé de réception le 21-04-82, complété, pour bien botter en touche, par une lettre, pareillement datée (on lira ci-dessous les deux missives), à son collègue Alain Savary, ministre de l’Education nationale (le bon Savary que Mimi allait lamentablement abandonner en rase campagne, en 84, dès les premiers souffles de vents contraires sur « Le grand Service d’Education », autrement dit l’impossible intégration au public de l’Ecole privée, dite « libre »). Bref, on jouait désormais uniquement à se refiler la patate chaude ; la patate chaude, c’était nous : fin du film ! De quoi vous faire aimer la politique…

   6) Bien des années après, j’ai rencontré, à Wittelsheim, Laurain, désormais vétéran de la politique, après l’avoir été des Maisons des Jeunes ; avec sa formation de base en philo, il brassait toujours autant de vent ; il n’avait toujours pas compris pourquoi on lui a collé, à lui, dans la main, notre revendication-oursin des 15% ; mais quelques instants de conversation suffisaient pour qu’on se rende compte comme il avait bien appris, au gouvernement, l’art de glisser entre les doigts des requérants, l’art de l’anguille (en alsaco on aurait dit : « s’esch a Schloga », avec un o ouvert), peut-être comme il y a chez Bach un art de la fugue., oui, oui, j’ai bien dit fugue… du verbe fuguer…

L’agrégé de polonais

du président Weber

   7) Pour me consoler du triste insuccès de notre tentative, je vous raconte, rapidement, oui-oui, l’anecdote suivante, une vraie parabole. Le président du Conseil général du 68 Jean-Jacques Weber, alias jjw, un vieil ami, particulièrement bien disposé à l’égard du genre humain, et donc spontanément bienveillant à l’égard des « Polonais » de son département, a réussi une année, entre 88 et 98, à obtenir du recteur de l’Académie de Strasbourg la création d’un poste de professeur agrégé de polonais (émanant de l’Académie de Lille, bien sûr), à Mulhouse, au Lycée Lavoisier, qui recevait les élèves des collèges du Bassin potassique. Cette nomination avait pour but de permettre aux élèves intéressés de préparer dans des conditions idéales un oral de polonais, épreuve facultative au bac, qui pouvait cependant rapporter des points précieux pour l’attribution des mentions, question sensible. Eh bien, on n’a pas pu garder ce professeur plus d’un an, car il n’avait pas assez d’élèves. La morale de l’histoire est vieille et connue : on ne fait pas le bonheur des peuples malgré eux. Et j’en repasse une couche : la culture, la vraie, celle qui suppose un effort effectif d’acquisition de savoirs et compétences, ça n’intéresse personne. Il s’agit là d’une misère chronique de l’enseignement du polonais à la descendance des immigrés ; combien de fois n’a-t-il pas fallu gonfler les effectifs d’élèves fantômes pour sauver les apparences, pour sauver les postes ; l’autorité académique connaissait parfaitement la situation, et faisait semblant de ne se rendre compte de rien, du déclin du polonais, car nul n’avait le courage de dire : bon, on arrête, c’est plus la peine de continuer ; débrancher, même un moribond, c’est un geste devant lequel on recule, car ça peut faire comme de dégoupiller une grenade… Cette historiette me semble d’autant plus valoir la peine d’être rappelée que l’enseignement de l’alsacien, et celui de l’allemand, connaissent aussi des jours difficiles, du fait de l’inappétence de ceux qui sont censés en faire les premiers leur bien.

« Le polonais ?

et le hongrois aussi,

tant qu’on y est… »

   8) Je tire vite la couverture à moi : cette anecdote de Lavoisier me fait repenser à mon propre oral facultatif de polonais au bac, en juin 74, il y a donc cinquante ans, au lycée Fustel, attenant à la cathédrale de Strasbourg, où deux mois plus tard j’allais entrer en hypokhâgne ; par erreur, mon nom ne figurait pas sur la liste des candidats au polonais, on l’avait mis sur celle du hongrois, sans doute à cause du sz initial de mon nom, jugé plus hongrois que nature ( les deux filles du consul de Turquie, qu’on appelait avec mon pote Denis « Turkisch délices », du titre d’un film porno, pardon, me trouvaient en effet tout à fait hongrois, à cette époque) ; bon, on a réussi à dénouer l’imbroglio, et j’ai pu passer mon polonais, plus de peur que de mal ; au sortir de l’épreuve, l’examinatrice, tout sourire, me fait : « Bon, maintenant, tant que vous y êtes, vous pouvez aller passer aussi le hongrois (sous-entendu : même si vous n’en savez pas le premier mot, qu’importe, juste pour la rigolade » ; attention : ne pas oublier que les Slaves sont friands de situations ubuesques, que réside au fond d’eux un amour certain du désordre, lui-même enfant d’un nihilisme venu du fond des âges, allez donc savoir pourquoi… Moi, je crois savoir : parce qu’ils n’aiment pas la force… Et si je voulais être tout de suite plus piquant, j’ajouterais : ils laissent cela à leurs voisins…).

De paperasse en paperasse…

   9) Ce qui se passe dans une vie est le plus souvent le plus improbable. Mon mémoire sur l’imposition spéciale, après 82, aura une utilité (au moins celle-là !) bien inattendue, il va servir de sujet d’examen. Je m’explique : la Ville de Wittelsheim voulait recruter un « rédacteur de mairie », comme on disait alors ; or la liste d’aptitude départementale à cet emploi était déjà épuisée ; il a donc fallu organiser un concours ad hoc, parce qu’on ne pouvait pas attendre que la liste suivante soit disponible ; à l’épreuve dite je crois de « note de synthèse », on a donc donné mon rapport à synthétiser ; quel honneur ! Pour bien faire sentir l’atmosphère du temps sur le front de l’emploi, j’ajoute que cette session spécifique a vu concourir 44 candidats, pour un seul poste, et que 43 candidats, disposant tous d’un diplôme de niveau bac + 3 =licence (exigé pour les concours de catégorie A, dit de cadres supérieurs, se déclassaient tous, cruellement, en s’y soumettant, car le concours de rédacteur était pour fonctionnaires territoriaux de catégorie B, dits cadres moyens, recrutés avec un bac ou équivalent ; le seul candidat bachelier était un « Polonais » de Wittelsheim licencié économique, et président d’association ; ça, ça fait une ironie du sort ; et la deuxième, c’est que moi-même, donneur de sujet malgré moi, j’avais songé plusieurs années auparavant à passer moi-même le concours de rédacteur, d’accord avec La Fontaine en ces temps ingrats de raréfaction du travail, qui conseillait à propos : « Gardez-vous de rien dédaigner… » Rédiger une note de synthèse, c’est un noble exercice ; mais s’agissant de mon rapport, je me suis dit que finalement on ne faisait qu’ajouter de la paperasse à de la paperasse ; idem pour les thèses, que sont-elles, sinon des livres sur d’autres livres (en tout cas bien souvent dans les sciences humaines) ? Ceci est une invitation à la lucidité : ne soyons pas dupes de ce que nous faisons, de ce que sont réellement les choses (dit-il, avec tout le désenchantement voulu).

   10) Notre illustration, pour cet article : la coopérative (magasin d’alimentation générale) de Wittelsheim-château d’eau ; ça alors ! qui de nous, avant 84, aurait pensé qu’elle allait devenir, bel et bien, notre « Maison polonaise », en dur ? On a ici une carte postale extraite de la très riche collection de Denis Schott, qui apporte d’autres contributions précieuses à notre blog, en particulier concernant la cité Grassegert à Wittelsheim, et la cité Ste-Barbe à Wittenheim.

   11) Terminé de rédiger, par fsz, le 16-02-24 ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).

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