e IX – Les Polonais et la Pologne

Madame Kozielski, la porteuse du journal polonais, n’est plus.

par fsz site polonais-et-potasse.com

   1) C’est curieux, ce qui peut passer par la tête : vers le 15 décembre dernier, c’est-à-dire 2023, environné comme tout un chacun par l’ambiance de Noël qui venait, je me suis dit, entre deux « plongées »  dans mes archives polonaises: « Mais, au fait, que devient donc Madame Kozielski ? A force, elle va bien nous devenir centenaire… »

   2) Eh bien non : elle est décédée le 17, à l’âge de 97 ans, et nous l’avons saluée une dernière fois le 21 en l’église Notre-Dame-du-Rosaire de la cité de Wittelsheim-Graffenwald, lors d’une cérémonie présidée par le curé Gros. De ses six enfants, seuls quatre étaient physiquement présents : deux, Marie-Claire (née en 55) et Eugène (né en 53), pour moi des amis d’enfance, l’ont hélas précédée dans la tombe (récemment, en septembre 20 et février 23), de même que son mari Stefan, il y a déjà plus de quarante ans, en 1982.

   3) Antoinette, née Wojtasik, a convolé en justes noces le 08-06-46, avant de devenir maman successivement de Gabriel, Elisabeth, Danielle, Eugène, Marie-Claire et Marie-Christine. Outre son « métier » de mère au foyer, elle aussi travaillé comme employée de maison, et « à l’usine », comme on disait.

   4) Mariée, elle a logé à trois adresses consécutives différentes à Grassegert (rue du Château d’eau, rue des Vosges, rue de Reiningue), avant de se retirer à Graffenwald, dans le logement de ses parents (17 rue Jacquard), à partir du moment où elle s’est occupée de son père veuf. Elle disait, notamment à Marc Blaszczyk, qui me le rappelle, qu’elle avait reçu des lettres de copines qui étaient retournées dans leur pays d’origine après la guerre, espérant des lendemains qui chantent, et qui regrettaient la cité minière comme « un paradis » !

   5) Mais, s’il y a pleinement lieu de faire mémoire sur ce blog de cette attachante femme, c’est parce qu’elle est  surtout restée dans le souvenir des Wittelsheimois comme « la porteuse du journal polonais » ; et, plus encore, des DNA, ou « Dernières nouvelles », alors quotidien minoritaire dans le Haut-Rhin par rapport à « L’Alsace » (On sait que la concurrence entre les deux titres appartient désormais à l’histoire, à un temps où on tenait à une information « plurielle » (sic), ce qui ne semble plus prévaloir aujourd’hui.). C’est ainsi que je reçois personnellement comme quelque chose d’insolite la parution dans « L’Alsace » du 23-12-23 d’une notice nécrologique sur l’intéressée, en page 18 de la rubrique « Thur et Doller » ; mais tant mieux, si on peut dépasser d’anciens clivages, parce qu’il serait avéré qu’ils sont devenus artificiels.

   6) Au-delà du mérite de la personne, dont on sait bien qu’elle ne rechignait pas à la tâche, qu’elle l’accomplissait tous les jours crânement sur sa bicyclette bleu-roi ! en « col de cygne », par toutes les conditions météorologiques, le froid, le chaud, le mouillé, le glissant, le venteux…, c’est à la fonction qu’il faut rendre hommage ; à l’heure où on nous serine sur tous les tons qu’il faut d’urgence « recréer du lien social », il faut rappeler qu’elle, Antoinette, avait, et entretenait, un contact personnel avec ses vieux abonnés pas forcément tous les jours très marrants, avec leurs bobos et leurs humeurs ; elle échangeait avec eux, servait de vigie pour détecter d’éventuelles détresses, presqu’une infirmière, presqu’une assistante sociale ; son passage  faisait qu’ils avaient au moins une connexion humaine dans la journée, avec une personne en chair et en os, avec son humanité propre, et en polonais, la vieille langue du lointain pays d’origine qui rassure ; et elle surmontait vaillamment les côtés fastidieux du job : par exemple, ils n’étaient pas toujours très disciplinés, tous les lecteurs, quand il s’agissait de régler leur abonnement mensuel, il fallait parfois s’y reprendre à deux fois, ou plus, pour encaisser les quelques pauvres sous qui étaient en cause… Et elle acceptait de « faire avec », comme on dit. Et tout cela a duré une bonne vingtaine d’années.

   7) Le « journal polonais » distribué, c’était le « Narodowiec » (disons, en français, « Le National »), organe de l’immigration dirigé par les Kwiatkowski depuis Lens (Pas-de-Calais), et qui, pour faire un doux euphémisme, n’était pas très orienté à gauche (avec le décodeur anti langue de bois, ça veut dire qu’on y tombait à bras raccourcis sur les « cocos », les « rouges », au moindre prétexte). Mais, avec le recul, peu importe, au fond ; ce qui compte, c’est qu’il était par excellence l’instrument du maintien de la culture polonaise chez les deux premières générations de l’immigration ; il aidait mieux que tout les anciens à rester eux-mêmes, à rester polonais, des Polonais !

   8) Porter à domicile cet instrument, c’était remplir une fonction culturelle essentielle, c’est pourquoi je ne peux pas laisser passer ce décès sans marquer le coup, ici. Il faut s’incliner devant Antoinette parce qu’elle a été un agent de liaison, de transmission concrètement important, au service de la continuation de notre identité, de notre âme, polonaises.

   9) Je sais ce que je dis, je pense à mon grand-père Félix, du 13 rue Poniatowski, à Grassegert, le porte-drapeau des anciens combattants polonais locaux ; tous les jours, il prenait son temps de repos en lisant, à haute voix, le « Narodowiec » (aussi pour que tout le monde sache bien qu’il savait lire, qu’ enfant il était allé une fois, pendant trois mois, à l’école, par un trop rude hiver de l’Est pour s’activer en plein air) ; et cette lecture inarrêtable mettait ma migraineuse grand-mère Victoria au supplice, mi assise mi couchée sur le canapé de la cuisine, qui gémissait, aspirant au silence : « Mais quand donc est-ce qu’il va cesser ?! »

   10) Au-delà d’Antoinette, d’autres Kozielski méritent ici mention, comme particulièrement investis dans la vie associative. Les Kozielski, ont formé, avec les Kubik , les Kaluzny, et Wojtasik, un important noyau familial chez les anciens combattants polonais de Wittelsheim. Stefan, l’époux d’Antoinette, a été le premier président de l’association d’après-guerre, en 1952, ancien sous-officier retranché en Angleterre pendant l’Occupation, puis libérateur de la Belgique et de la Hollande.

   11) Des six enfants Kozielski, presque tous ont été des sportifs  au club de l’Asca, au foot, au basket, au hand, au tennis. Comme vétéran bénévole à la section de basket, c’est toujours Elisabeth qui me préparait, avec sourire et bises, mon sandwiche quand je faisais une incursion  de principe au tournoi  annuel des jeunes, à l’Ascension.

   12) Dans cette troisième génération, c’est pourtant l’aîné, Gabriel, qui s’est le plus détaché, en devenant président de la section de foot (comme pendant un temps son voisin Opala) ; et adjoint au maire (1995-2001), le premier édile d’origine polonaise de la localité à accéder à ce niveau de responsabilité civique (Est-ce qu’il y en a eu un autre depuis, au fait ?).

   13) (+) Eugène, dit « Guina », était, comme moi, membre de la MJC, de l’autre côté de la rue de Reiningue, une autre manière d’être un associatif ; il était bon au ping-pong,  au volley, en natation, on ne perdait pas à faire équipe avec lui, y compris dans différents jeux e société ( en particulier aux tarots à cinq, avec appel au roi) un jeu de carte nécessitant des qualités de mémoire et de tacticien, pour réduire le rôle de la chance pure, un jeu intéressant, donc. Et au basket, c’est(+) Marie-Claire  qui a tenu un joli rang, comme cadette d’Alsace, ou en remportant un critérium national de la meilleure jeune basketteuse française.

   14) Illustrations :

  1. a) Antoinette prend la pose (dans le sommaire de ce blog) : jusqu’à un âge très avancé, elle a fait belle figure ! ( photo mise à notre disposition par une des filles de la défunte, Danielle Wentzel-Kozielski, celle de la même classe que ma sœur à moi).
  2. b) Antoinette la conviviale (photos du journaliste Dominique Bannwarth), au banquet des acp 310, à la « baraque polonaise » de la cité Langenzug, dans la soirée du 20-05-78 ; elle danse d’abord avec le président Stanislas Grabowski, puis le porte-drapeau André Grochowski, ensuite prend le café avec sa fille benjamine Marie-Christine. Avec ces clichés, le photographe nous fait un chanceux clin d’œil : Mme Kozielski est en effet connue comme femme au travail, femme qui travaille ; or ici, il la surprend pour notre plaisir à contre-emploi, en train de s’amuser, de prendre du bon temps, de goûter encore, preuve de jeunesse, sa part des plaisirs de la vie !
  3. c) la fin du « Narodowiec », article de notre ami Bruno Borsuk dans « L’Alsace » du 25-07-89 (soit dix jours après les fêtes du bicentenaire de notre Grande Révolution, deux mois avant l’entrée en fonction en Pologne du premier gouvernement postcommuniste, et quatre mois avant la chute du mur de Berlin : la fin du « Narodowiec » préfigure vraiment celle de toute une époque géopolitique, commencée à la conférence de Yalta.)
  4. d) Stefan le soldat (photo déjà parue avec acp 310-5 , dans LA du 11-10-79) ; portrait réalisé par le studio « Photo Roosevelt », 44 boulevard Anspach (Jules ? le bourgmestre de la capitale) à Bruxelles, le 20-08-45.
  5. e) Gabriel, réception en mairie de Wittelsheim; le président Kozielski prend la parole à l’occasion d’une réception pour commémorer les 75 ans de la section foot du club de l’Asca, (DNA du 27-08-2000).
  6. f) (+ 03-02-23) Guina ; une poignée de jeunes du très fréquenté foyer-bar de la Mjc (une baraque provisoire à l’époque, au pied du château d’eau) autour de l’aide de maison Franz Kufel, pour ses 80 ans (doc Danielle Albouy), le 03-01-72 ; accroupi dans le coin en bas  à gauche du cliché, notre Guina, dans l’année de ses 19 ans.
  7. g) (+ 11-09-20) Marie-Claire, le 06-04-69, jour de Pâques, donc jour de communion solennelle pour la paroisse polonaise de la chapelle St-Jean-Bosco de Wittelsheim-Langenzug ; les traditionnelles photos prises à cette occasion le sont devant la « baraque » polonaise (démontée depuis) de la rue du Phénix. Marie-Claire est placée debout, derrière les deux prêtres assis (Biesczad est celui de gauche) ; moi, je suis debout également, le dernier à gauche ; nous étions dans l’année de nos 14 ans (photo du « Studio Jean-Paul »).

    La photo est une photo « rituelle », et c’est aussi pourquoi je l’ai sélectionnée ici  : chaque dimanche de Pâques, à Langenzug, le chanoine Bieszczad faisait  en effet photographier « ses » communiants par un photographe professionnel ; le cliché, en quelque sorte « officiel », de la circonstance était ensuite suspendu  encadré dans la baraque polonaise, formant galerie avec les photos des années précédentes ; la collection couvre la période  de 1958 à 80 ; elle est à présent visible dans l’actuelle Maison polonaise de la rue de Reiningue.

   15) Terminé de rédiger le 04-03-24, par fsz ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).

Cet article a 11 commentaires

  1. Cybulski

    Je me rappelle très bien de « la porteuse de journaux polonais », et ses encaissements mensuels. Mon père était abonné à ce journal.
    Il y a une page qui se tourne, avec la disparition de ce personnage.
    Merci Francis.

  2. Francis Szulc

    1) Joyeux merci à toi, Patrick, pour ta réaction, et rapide en plus!
    2) Je reviens d’un mot sur l’article de Borsuk republié avec cette évocation de Mme Kozielski: tu te doutes bien que je trouve les propos tenus par ton père sur le « Narodowiec » trop gentils; moi je trouvais la rédaction lensoise quand même trop coincée à droite; ceci étant, la disparition de ce quotidien a été une grosse perte culturelle pour tous les polonophones, de France, et d’ailleurs, c’est incontestable, hélas..

  3. Wentzel jean-Pierre

    Merci Francis pour le bel hommage fait à notre maman et papa et tous les beaux souvenirs. Article très réussis BRAVO. Danielle et Jean-Pierre Wentzel.

  4. Francis Szulc

    Vif merci à vous, les Wentzel, pour votre réaction sympa! L’article, porté par elle si agréablement inspirante, doit une bonne partie de son « prix » à la photo de l’intéressée que vous avez mise à ma disposition pour le sommaire de ce blog. Qu’elle est elle-même, qu’elle est vraie, Mme Kozielski la porteuse, à la retraite, ma voisine, sur ce cliché! Pour la publication, on l’a un peu recadré, en plus carré. J’espère que là où elle est maintenant, en paix pour toujours, elle ne m’en voudra pas de lui avoir coupé les pointes de son col, si large, si blanc, si beau. Amicalement votre fsz, en ce 24-03-24, dimanche des Rameaux, déjà, de nouveau, comme le temps file!

  5. Francis Szulc

    Sonia, la fille unique du grand gardien Opala, m’autorise à publier ici les propos suivants qu’elle m’a tenus en deux mails distincts, après lecture de cet article; elle a été de nombreuses années la voisine immédiate des Kozielski, lorsqu’ils habitaient au 8 rue des Vosges, dans la cité Grassegert. « Coucou Francis, c’est vraiment super d’avoir publié un article sur Mme Kozielski. J’ai le souvenir d’une personne dynamique et sympathique toujours sur son vélo. Que de souvenirs. Une page se tourne. Tous nos anciens disparaissent peu à peu. Mais la vie continue et heureusement que tu es là pour évoquer toutes ces personnes qui ont marqué notre cité minière. Amitiés, Sonia ». Et elle ajoute:  » Je reviens à l’article de Mme Kozielski. Tous ses enfants ont bien réussi dans leur vie, mais j’apprends avec tristesse la disparition de Guina que j’avais revu dans le service où je travaillais (ndl: Sonia était infirmière.). Il était d’une extrême gentillesse. Par contre, Marie-Claire je ne l’ai plus jamais rencontrée et j’en suis navrée. » J’ajoute: Marie-Claire et Sonia, adolescentes, jouaient dans la même équipe au basket à l’Asca. Chaud merci à toi, Sonia, pour ta réaction qui enrichit ce blog, et le rend plus humain. fsz, le 30-04-24.

  6. Wentzel jean-Pierre

    Bonjour Francis et merci d’avoir mis en ligne le commentaire de Sonia que je salue au passage..Un grand merci. Danielle et Jean Pierre.

  7. Perrine, Hugo & Leeloo

    ❤️

    1. Francis Szulc

      Cordial merci à vous pour ce joli coeur rouge, qui, tout seul, dit quand même beaucoup!

  8. Kozielski

    Bonjour Francis, merci pour le bel hommage que tu as fait pour ma maman je viens de le découvrir un grand merci à toi. Bises porte-toi bien au plaisir kiki.

    1. Joyeux merci à toi, Christine, pour ta réaction, qui m’encourage à continuer ce travail de mémoire. Prenez bien soin de vous. A bientôt, j’espère, mais de préférence pas dans une occasion triste. Bises.fr

  9. Kozielski

    Bonsoir Francis merci pour ton bon retour ça me fait plaisir je confirme tout ton bon travail en mémoire des Polonais et surtout pour ma maman que tu as publié bravo à toi. Si un jour tu organises un voyage en Pologne tiens-moi au courant rapidement nous sommes partants avec grand plaisir de se revoir une belle occasion prends bien soin de toi à bientôt bises kiki.

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