e II – Les Polonais et le Travail
2025 centenaire de l’ASCA-foot -Essentiel au club comme attaché de presse, et plus :
L’instit Granacher
- En cette année 2025 où l’Asca-foot de F68310 Wittelsheim franchit le cap, « vénérable », reconnaissons-le, de ses 100 ans, il convient selon moi de penser tout d’abord qu’un club, ce ne sont pas seulement des joueurs et des matchs, mais également des bénévoles qui s’activent, discrètement, avant, pendant, après, et sans lesquels toute cette vie sportive ne serait tout simplement pas possible. L’année ne saurait se dérouler sans qu’on leur décerne le grandissime coup de chapeau commémoratif qui leur revient.
2. Mais il y aurait tant de noms à citer, tant d’histoires individuelles derrière ces noms à raconter. C’est tout bonnement impossible.
3. Alors, comment aboutir quand même ?
4. Les militaires ont eu leur idée : pour représenter leur multitude, ils ont institué le tombeau du Soldat Inconnu.
5. Moi, ici, je propose la formule exactement inverse ; pour les représenter tous, et toutes, je choisis une figure emblématique, incarnée, en somme un « Soldat Connu ».
6. Ce sera un bénévole à la fois parmi les plus retenus et néanmoins les plus éminents, un homme de prestance, de capacité et d’imperturbable dévouement, l’instituteur Louis Granacher.
7. Depuis le temps que je guette l’occasion de faire son portrait, à ma manière, je jubile que le moment est venu.
8. Louis Granacher est né le jeudi 05-07-1917 à Paris (10e), il est décédé à 85 ans le 24-11-2002 à Colmar, de pathologie cardiaque ; il est inhumé au cimetière de F68360 Soultz , avec son épouse Suzanne (ou « Suzette »), née Chalumeau, 94 ans, donc plus âgée que lui (1908-2002), et qui ne lui a survécu que quelques jours, décédée à son tour encore dans la même année 2002, de maladie dégénérative, sans avoir pris conscience qu’elle venait de devenir veuve. Patiente, serviable, souriante, elle a pendant des années apporté une aide importante à la bonne marche du bureau de tabac « Galli », à Grassegert, au coin des rues de Mulhouse et du Château d’Eau, à deux pas du logement de fonction de son mari. Le couple était resté sans enfant, et passait couramment ses vacances à Paris, où Louis avait une cousine. Il venait de Belfort, elle de Suisse.
9. Ses intimes s’autorisaient à l’appeler « LOLO », ses élèves « Granach’ », c’était l’instituteur Louis Granacher, l’homme à la perpétuelle cigarette « Gitane » jaune papier-maïs, au coin des lèvres, la plupart du temps éteinte d’ailleurs, maïs oblige (C’est un peu faux : elle pouvait être remplacée par un cigarillo, dont le dos vierge du paquet servait d’ailleurs de calepin où au stade l’invétéré fumeur griffonnait les résultats des rencontres sportives.)
10. Il a rendu au club de l’Asca des services inappréciables, fidèle pendant plusieurs dizaines d’années, en parfaite complicité avec son grand ami le président général Hippolyte Hardy, dit « HIPPO« , celui dont le stade de Wittelsheim, dit du Château, ou des mineurs, porte maintenant le nom, en souvenir de toute une époque, en souvenir de la « GRANDE » époque, quand la potasse turbinait, et que l’Asca brillait… Parmi ses autres meilleurs amis à Wittelsheim, il y a eu les Valdan, concessionnaires de la marque automobile Renault. Il était généralement su qu’il avait pour un des deux fils, Henri, ou Riquet, décédé trop jeune, une sollicitude privilégiée.
11. Son rayon, où il se révélait un cadre essentiel du club, c’était la diffusion dans la presse, en particulier dans le quotidien « L’Alsace », qui publiait, en particulier le lundi, un très gros volume de résultats et comptes rendus sportifs. A la succursale de Wittelsheim il était le patron, le coordonnateur, de tous les correspondants sportifs du secteur, une escouade virevoltante qu’il fallait savoir canaliser, au moment de la collecte dominicale des résultats, de toute l’information qui en reflétait la vie. Il savait, ses grosses lunettes chaussées tout juste au bout du nez, faire trois choses en même temps : écouter celui qui apportait de l’info, noter par écrit des points importants de son prochain article de compte-rendu, transmettre téléphoniquement des résultats à la rédaction centralisatrice à Mulhouse, après les avoir bien sûr convenablement classés. Tout ça dans beaucoup de fumée, de bruit, d’agitation ; mais lui, il lui en aurait fallu bien plus encore pour entamer son sang froid. Il dominait les événements, il régnait, allez, voilà bien le mot qui convient. Et ça durait plusieurs heures, et il ne fallait pas se laisser fatiguer, ou seulement distraire.
12. Au-delà du journal régional, c’est par ailleurs le magazine spécialisé « France football», ainsi que le très lu quotidien sportif « L’Equipe », qui ouvraient suivant l’actualité leurs prestigieuses colonnes à Granacher pour des articles clairs et complets, dans des formulations parlantes et séduisantes.
13. Comme « journaliste », il savait voir, garder du recul, juger instantanément une situation, mettre en perspective une phase de jeu ; toutes ces qualités m’épataient, elles n’étaient pas données au premier venu. Par-dessus tout il m’en bouchait un coin par sa lucidité sur toutes choses, qu’il distillait en faisant un tantinet le désabusé, c’était son péché mignon ; quand par exemple je l’ai félicité pour ses Palmes académiques, il m’a laconiquement jeté : « Oh, tu sais, ça sent la retraite, c’est tout. » Flegme et sobriété, c’était son style ; pas de chichis, mais de l’action productive, efficace. Bref, le boulot qu’il faisait, c’était pas une affaire pour fantaisiste ! Et tout ça, avec quelle constance il le faisait, je peux vous la certifier, puisque je le voyais au bureau du canard tous les dimanches, quand on ne s’y croisait pas aussi en semaine car il fallait aussi fournir de commentaires, récapitulatifs et prospectifs, pour le journal du jeudi. Jean Stebler le chef d’agence, et son jeune alter ego, Jean-Jacques Weber (le futur député–maire de Sausheim et président du Conseil général) à qui je ne perds pas une occasion de le répéter, ont eu une chance formidable de pouvoir compter sur un collaborateur de cette valeur, qui faisait tout marcher comme sur des roulettes, sans avoir jamais à mettre les mains dans le cambouis, comme on dit, à cause d’une éventuelle défaillance. J’en profite pour ajouter que l’homologue de Granacher à Wittelsheim, pour le « concurrent » des DN, ou Dernières nouvelles (d’Alsace), sans avoir bien sûr la même stature, se débrouillait bien aussi, dans son genre, Gérard Papierer, résident d’Amélie II, et handballeur de son état, et dont je garde aussi un bon souvenir, un homme agréable, et soucieux de bien faire.
14. Quand on relit ses comptes-rendus de matchs, on se rend compte à quel point il fallait de l’attention pour les fabriquer, combien de présence d’esprit ; c’était un exercice très codifié, mieux, ritualisé ; chaque circonstant devait y être, et à sa bonne place, et dans le jargon de rigueur. Aujourd’hui, on donne encore, approximativement, le nombre de spectateurs ; mais qui donnerait encore, et au franc près, le montant de la recette réalisée à la billetterie ?
15. Ce genre de situation, moi qui suis devenu doublement son collègue, comme enseignant, et comme correspondant de presse, où l’on écrit suivant un plan totalement contraignant, où il n’y avait pas à déroger à la structure préétablie, je l’ai connue aussi, et couramment, dans le traitement des petits faits divers, c’est-à-dire des accidents de la circulation, rubrique dite aussi, dans le milieu blasé,« des chiens écrasés» ; il fallait totalement s’effacer devant les exigences du genre, on me disait que c’était une belle leçon d’humilité, et c’était vrai, il s’agissait d’informer, pas d’attirer l’attention sur soi en tant que rédacteur.
16. Cette nécessité de se plier à une grille complètement rigide et impérieuse, remarquez que je l’ai déjà rencontrée, dès mes 10 ans, à la table de marquage des matchs de basket, dans l’ancienne salle des sports, rasée et remplacée il y a une dizaine d’années. J’étais le binôme de devinez qui ? Granacher ! qui faisait le marqueur, et moi le chronométreur ; vous voyez bien, même le dimanche matin, il était pédagogue, et m’acceptait assis à côté de lui, avec son grand feutre mou sur la tête, pour me former au bénévolat sportif, m’inculquer de la discipline d’esprit, de la rigueur. Il s’agissait de remplir un formulaire normalisé, et pour le faire, j’ai beaucoup appris à me concentrer, et à le rester, longtemps. ; et encore, j’ai ainsi déjà appris le plaisir de jouer un rôle, de me rendre utile, de rendre service, de participer quoi, comme aurait dit un certain de Coubertin ; faire participer les moutards, déjà tout mioches, c’est essentiel, si l’on veut ambitionner une société performante.
17. En septembre 1973, dix jours avant la mort de mon père, je dois avouer que je lui ai quand même fait un ptit sale coup, à Granacher. Je me suis fait octroyer par Stebler, le chef de la succursale, qui n’osait pas me la refuser de peur que je ne le laisse choir ultérieurement par représailles (Il était atteint de sclérose en plaques, presque paralysé, et je lui servais de jambes.), la couverture de presse d’un week-end sportif organisé par l’OMSC (Office municipal des Sports et de la Culture) de la Ville de Wittelsheim. Selon une certaine logique, le traitement journalistique de l’événement entrait plus dans les attributions du maître que dans les miennes. Mais Dalida aurait pu dire de moi comme dans sa chanson « Il venait d’avoir 18 ans», et, à cet âge-là, j’étais un touche-à-tout, qui se cherchait encore (cas de figure bien banal, quoi), à travers la tête duquel est passée l’idée de faire aussi le correspondant sportif, l’occasion faisant le larron, et, en somme, de faire « du Granacher », qui, dans son genre, m’impressionnait. Et, donc, sans tambour ni trompette, ce qui n’était pas très convenable, j’ai fait intrusion dans son pré carré. On retrouvera donc à la fin de cette évocation deux articles que j’ai écrits pour annoncer ces manifestations, et on dira, le cas échéant, si je ne me suis pas trop mal débrouillé à, de fait, marcher dans les pas du maître. Ceci dit, j’ai été bien puni de mon discutable procédé, parce que, en donnant le résultat, très attendu, scruté, du derby départemental de handball séniors hommes FCM-Altkirch, j’ai réussi l’exploit gros comme une montgolfière d’inverser le résultat, bref de faire gagner le perdant. J’ai invoqué une mauvaise communication avec le siège mulhousien, mais intérieurement j’ai commencé à perdre ma confiance en moi, et je ne me suis plus aventuré à rendre compte de quelque match que ce soit, parce que les choses pouvaient s’emballer, et aller trop vite pour moi ! Et Granacher, dans tout ça ? C’était un sage, il ne m’a jamais pipé mot d’avoir piqué ma fourchette dans son bifteck. Je suppose qu’il a dû se dire, peut-être même avec Stebler : « Il faut bien que jeunesse se passe ; il faut bien qu’ils, les jeunes, fassent leurs expériences. » Et nous avons continué de nous entretenir tous deux, régulièrement, de manière affable, enjouée même, comme auparavant, comme si de rien n’avait été. Il n’était pas seulement sage, Granacher, mais élégant en plus.
18. Mais, en feuilletant la plaquette des 50 ans de l’Asca, œuvre sommitale pour la mémoire du club réalisée par le président général Hippolyte Hardy, avec la contribution importante de l’entraîneur de basket (+) Jean-Paul Zimmermann, on ne trouve pas seulement Granacher comme commis aux écritures attitré du club, mais, dans d’autres fonctions associatives, au besoin, vice-président de la section de basket, et même entraîneur ! d’icelle, et membre du Comité directeur général du club.
19. Remarquable contributeur au bon fonctionnement des sections de foot et de basket, il l’a été pareillement comme instituteur. Le docteur Jacques, qui a été son élève de cours moyen en 45, mon frère aîné Richard qui l’a été dix ans plus tard en 55-57, et moi encore dix ans plus tard, en 64-66, nous sommes d’accord pour dire qu’il a marqué nos esprits, parce qu’il formait sans relâche notre jugement de futurs hommes et citoyens. En ce qui me concerne en particulier, je vois en lui un moraliste, dans la grande tradition française, quelqu’un qui nous éveillait à l’indispensable critique sociale, permanente, qu’il pratiquait devant nous, décrivant et évaluant les conduites des uns et des autres, en particulier celle des autres jeunes qu’on côtoyait sur la pelouse, ou sous les paniers, et aiguisant en nous le goût et l’exigence de la sportivité, la sportivité bonne, celle qui vous ouvre à votre épanouissement, à votre accomplissement humains.
20. Et le moraliste ne détestait pas en classe pousser le bouchon jusqu’à faire le caricaturiste, (Je lis ce matin qu’une imitatrice douée a aussi été la reine Elisabeth, qui réussissait particulièrement bien à mimer Melania…Trump ! et pan pour celle-là !)) en singeant les jeunes aussi mous que des grands-pères, et les faux sportifs qui allaient à l’entraînement en traînant les pieds, et clop au bec. Il était chroniqueur des travers du temps. Notre jugeotte en était toute sollicitée, toute secouée, toute mobilisée, pour, nous aussi, dans les faits et gestes d’autrui, démêler le bon grain de l’ivraie. Son injonction permanente, implicite dans tout ce qu’il disait ou faisait, était simplement : voyez clair.
21. Dr Jacques s’amuse à insister pour que je rapporte ici que notre instit a chargé l’élève Emile Ehret, de Langenzug, ensuite employé aux Ateliers centraux, et connu à Wittelsheim comme bûcheron, débardeur et scieur de bois, doté d’un gabarit de fort des Halles, de « protéger les petits contre les grands pendant les récréations ». Jacques veut simplement faire savoir que Granacher cherchait à tirer de chacun le meilleur, à donner à chacun une utilité au sein d la collectivité, une occasion de se révéler à lui-même. Et voilà donc notre Emile qui n’est plus encombré d’être trop grand parmi les petits, une sorte d’involontaire Blanche-Neige au milieu des nains, il assure l’ordre, l’ordre positif, j’allais ajouter chevaleresque.
22. Nous étions en effet galopins à l’âge des romans de chevalerie,, nous vivions notre temps des héros (dont des joueurs de foot), et il me semble essentiel de rappeler qu’il faisait fonctionner un prêt de livres de bibliothèque, étant ainsi le premier à nous faire lire des œuvres complètes, avec des histoires complètes. Les volumes étaient protégés par des couvertures en papier kraft (= d’emballage), pas le brunâtre pour colis postaux, mais du bleu roi, avec des étiquettes blanches, pour les titres, manuscrits, d’une écriture… d’instituteur, c’est-à-dire parfaite, irréprochable. C’est ainsi que j’ai fait la connaissance de mon premier vrai écrivain, écrivain pour garçons s’entend (la comtesse de Ségur, c’est pour les filles, enfin voyons ! dans la bibliothèque rose, pas la verte, ni la « Rouge et Or », écrite plus petit, avec plus de pages, et moins de dessins). Il s’agit de Walter Scott, hélas sujet de la perfide Albion, mais passionnant : j’ai bien sûr avalé « Richard Cœur de Lion, Ivanohé (dont on suivait simultanément, scotchés à l’écran, le feuilleton quotidien à la télé, encore en noir et blanc, et qui n’avait pas encore fait son entrée dans beaucoup de foyers ; feuilleton médiéval suivant : « Thierry la Fronde », vous vous souvenez ?), Quentin Durward », sans oublier « Robin des Bois », qui comme chacun sait, n’est pas de Scott, mais d’un certain Dumas ; tout cela était si captivant que du « Cœur de Lion », j’en ai repris deux fois (bien que ce ne soit pas une marque de fromage) ! Granach opinait d’un bref plissement d’yeux, il avait atteint son objectif, me, nous, faire mordre à l’hameçon, CAPITAL, de la lecture !
23. Et bien sûr, en faveur de la lecture encore, Granacher s’investissait fortement pour la bonne dévolution aux élèves de Wittelsheim des livres offerts chaque année par le département du Cher au titre de « l’amitié Berry-Alsace», née de la guerre.
24. Et d’une madeleine de Proust de la classe de Granacher l’autre, après la bibal, je pourrais vous faire, par exemple, celles des buvards, des cahiers du jour, encres, encriers, plumes, porte-plumes , «PIM» les porte-plumes (pouce- index-majeur), les essuie-plumes, cousus par nos mamans, comme les éponges attachées à nos ardoises (ah, les ardoises, c’était avant Granacher, c’était chez Spinner, au cours élémentaire, Adolphe Spinner, celui chez qui on faisait la prière (mais les parents réfractaires, entendez communistes, et protestants, obtenaient une dispense pour leurs enfants : on était dans un monde acceptable, car toute règle y avait ses exceptions ; aujourd’hui, on a peut-être, à force de pousser sur la « tolérance », basculé dans l’absurde, l’ingérable : il n’y a plus que des exceptions, chacun se croit une exception, Majuscule, de droit, et il n’y a plus de règle, ni de règles !Et quand je vous dis que le plus souvent le mieux est l’ennemi du bien, pourquoi vous voulez pas me croire ? Moi, je sais, la France n’aime pas l’équilibre, midi juste n’y est jamais « Midi le Juste » (celui de Paul Valéry). Bon, j’arrête la politique, pour aujourd’hui.
25. Et Granacher nous faisait marcher à coups de bons points, qui donnaient droit à des images, de plus en plus grandes, belles, riches, au fur et à mesure de nos progrès; les bons points étaient de différentes couleurs, de différentes valeurs nominales ; bref, c’était notre monnaie d’échange d’élèves, Granacher nous apprenait déjà la comptabilité, la valeur de l’argent, et au-delà la méritocratie républicaine ; comme ça, mine de rien, sans en avoir l’air ; ça, c’est de la pédagogie ! de l’excellente ! celle qui réussit à ne pas se donner pour ce qu’elle est; et ça, Granach savait faire, rusé, très avisé ; ceux d’aujourd’hui qui se croient géniaux avec leur « ludique » peuvent remballer leur camelote, ils n’ont rien inventé. Nos instits d’avant pratiquaient déjà tout cela avec talents ; parce qu’ils étaient fiers de leur job, instituer, creuser les fondations, jeter les bases du savoir; pas comme les professeurs des écoles, de maintenant, qui pensent construire sans fondations ; si j’avais demandé à Granach s’il veut être appelé prof, je suis sûr qu’il m’aurait ri au nez, peut-être par qu’il savait sa grenouille de La Fontaine, lui… Je l’imagine d’ici, me disant : « Enfin, est-ce que boucher et charcutier c’est kif-kif bourricot ? »
26. On ne cesse de réinventer l’eau tiède. Vous ne me croyez pas ? Eh bien, Granacher, déjà, chaque soir, de 16-à 17h, proposait, moyennant une contribution financière mensuelle symbolique, de 3 francs, je crois (je suis d’accord avec le principe : le tout gratuit, c’est excessif, c’est pervers même) une heure d’étude, où on faisait ses devoirs ; c’était une étude « surveillée », parce qu’il n’y avait pas encore besoin d’études « dirigées », où le surveillant finit trop souvent par faire le devoir à la place de l’élève : apparences et réalités de l’Ecole… Inutile d’ajouter que l’étude avait un gros succès, presque toute la classe y venait, et régulièrement, et moi, je ne la manquais qu’une fois par semaine, où, dans une autre salle, je suivais le cours de polonais de Marian Jedrzejowski.
27. Dans la partie réservée aux filles de la cour d’école, il y avait quelque chose qui était loin d’exister dans toutes les écoles, des panneaux de basket. C’est évidemment Granach qui avait poussé pour les faire installer, les a obtenus de M. Saison, ingénieur à la mine Amélie 1 voisine, pour développer le sport à l’école, encore une preuve qu’il était vraiment un classique, ne sacrifiant pas l’éducation du corps à celle de l’esprit. Quand on disait, suivant l’inspiration humaniste de la Renaissance : « Mens sana in corpore sano » (fr : « Un esprit sain dans un corps sain. », le maître voulait que la part dévolue au corps soit effective, consistante ; semer suffisamment pour récolter vraiment : telle aurait pu être une de ses devises.
28. C’est ainsi qu’avec Pierre Albouy, secrétaire de la section de basket, et instituteur à Wittelsheim-Centre, et autre « Français de l’Intérieur » dans la potasse d’Alsace, il a organisé, mais au stade de l’asca, des tournois de basket dits « inter écoles » de Wittelsheim pour garçons et filles. Il n’y a pas à tortiller : si l’on veut une grande nation sportive, il faut la susciter, par la pratique, dès l’enfance. Pour ces instits là, c’était une évidence, et ils ont joint le geste à la parole. Et, comme l’appétit, paraît-il, vient en mangeant, tout cela est devenu une grosse affaire, on ne s’est pas contenté du basket, mais on a aussi fait des tournois de foot, et, tenez-vous bien, même de « ballon prisonnier », encore un des grands jeux de nos enfances !
29. Entre autres actions pédagogiques par lesquels Granacher s’est illustré comme instit bien au-dessus de la moyenne de la plupart de ses congénères, il faut encore mentionner qu’il proposait, hors grille horaire habituelle, un renforcement de l’enseignement du français pour les élèves d’origine italienne. Il s’est même soucié de notre hygiène corporelle, et nous a conduits aux bains-douches de la cité Grassegert, rue du Château d’Eau, pour nous apprendre à nous laver vraiment, efficacement.
30. Comme son collègue Spinner, futur 1er adjoint au maire, gaulliste (1971-77), il cultivait à côté de l’école un lopin de terre, et il nous le faisait visiter, pour nous initier au jardinage, aux légumes : c’était se révéler d’avant-garde, en un temps où, en Alsace peut-être encore plus que d’autres régions françaises, la nourriture se concevait (peut-être un reste de contre-coup du rationnement de la guerre) avant tout en viande et charcuterie (Vive le cholestérol !), d’avant-garde, reprends-je, que de sensibiliser les mouflets à l’intérêt nutritif des végétaux, et à l’art de les cultiver. Allez-vous me dire que l’Ecole de Granacher était trop dispersée ; je vous répondrais évidemment que non, qu’elle était, selon le simple bon sens, là où il fallait qu’elle soit (ou « fût », pour les puristes), afin de vraiment contribuer au bien public, et de permettre aux jeunes d’être pleinement de leur temps.
31. Se situant bien dans le sillon initié par Jules Ferry (rappelé hier encore, à sa manière, par Jacques Attali : « Plus le politique et le spirituel sont séparés, mieux nous nous portons. ») Granacher était peut-être même un peu trop laïcard. Au moment de l’inscription des cours moyens 2ème année en 6ème, il n’a pas proposé l’option latin. Il a fallu que ce soit moi, tout seul, sans l’incitation ni l’appui d’aucun adulte, un gosse de pas encore 11 ans, qui demande à bénéficier de cet enseignement. Quand je l’ai fait, il m’a paru tout étonné, et il a, si j’ose dire, « obtempéré », sans un mot. Voyait-il dans le latin un enseignement catho déguisé ? Etait-il défavorable à la constitution d’une classe de latinistes comme classe « d’élite » ? On n’en a jamais parlé. Mais, il est certain que si j’étais passé à côté du latin, je me serais senti comme amputé d’un bras ! Servant la messe des Polonais à Langenzug depuis l’âge de 7 ans, je faisais par cœur des tas de répons en latin, que je lisais aussi bien que le français ; en faisant du latin, je voulais quand même comprendre un peu mieux ce que je récitais ; ensuite, il ne faut pas perdre de vue toutes les facilités dans l’apprentissage des langues qu’on tire de l’étude du latin, dont ont on objectivement raison de soutenir qu’il est, pour nous «la mathématique des langues », la clé de leurs inépuisables trésors, dont j’ai commencé à raffoler dès haut comme trois pommes. Granacher avait parfaitement le droit de ne pas considérer le latin comme sa tasse de thé, mais moi j’ai failli en faire les frais, des frais incalculables. Mais oui, « un joli petit verbe déponent », comme dit Labiche, par ci, un joli ptit ablatif absolu par là, comme je dis, moi, ça a quand même un goût si exquis ! comme rien d’autre…
32. Illustrations
a) Granacher en excursion ; pour le sommaire de ce blog, un détail du même cliché, avec « le maître » dans une de ses attitudes caractéristiques, on dirait Orson Welles en personne dans son fameux film de 1941 justement sur un homme de presse, « Citizen Kane ».) ; Madame Granacher figure aussi sur cette photo, en tailleur noir et gants blancs (les clichés a, b, c, proviennent de la doc djh).
b) Le même, portrait complémentaire recadré comme une photo d’identité.
c) Le même, au mariage du dr Jacques Hardy, le 13-07-63, avec sa femme (à droite), et sur la table, le voilà pris sur le fait ! son fameux paquet de cigarettes Gitane.
d) La stèle funéraire bleu foncé des Granacher, au cimetière de F68360 Soultz (doc fsz).
e) Portrait du docteur Jacques Hardy, formé à l’Université de Besançon, médecin de la SSM (Société de Secours minière, quai d’Isly, à Mulhouse) affecté au Centre médico-social de la cité MDPA de Rossalmend, de 1970 à sa prise de retraite en 98, cité où Louis Granacher a aussi fini sa carrière dans l’Education nationale, côté Staffelfelden, comme directeur d’école primaire (de garçons, mais logé à l’école des filles, rue des Fées) ; Jacques, né en 37, avait 8 ans quand il a été élève (avec notamment « Marysz » Rozek, qui vient de perdre sa femme ces derniers jours.) dans la première classe de Granacher à Amélie 1 à l’automne de 45 (Vu les événements, ledit Granacher est seulement arrivé en octobre, et les élèves ont d’abord été pris en charge par M. Spinner.) ; son fils aîné Bertrand, actuellement résident de Besançon, est filleul du « maître » ; il a un fils, Mathis, qui m’intéresse particulièrement, parce qu’il aime l’histoire, pardi ! vivement que j’en fasse la connaissance de vive voix !
f) Photo de classe,(studio ?) du cours moyen, 1ère et 2ème années, de M. Granacher, pour l’année scolaire 1965-66, à l’école primaire de garçons de Wittelsheim-Amélie 1 ; les évèles viennent des quartiers de Grassegert, d’Amélie 1, des Genêts, et même de Langenzug (Schoepflin et Uchronski) ; ils sont nés en 54-55-56 ; à l’époque, il n’était pas d’usage que le « maître » figurât sur la photo, comme on l’a ensuite institué, quand j’étais professeur principal en collège, notamment à Mermoz, à quelques pas.
De gauche à droite, sur 5 rangs, en partant du bas :
1er rang, assis (en tailleur) : François Mettmann, ?, Hatterer, Mario Marzzolini, Schoepflin, (+) Roger Machlik (60 ans), (+) Thierry Kaczmarek (1971, 16 ans, s’est tué en mobylette, contre un mur, en face de la mairie de Wittelsheim, après avoir raté son virage alors qu’il roulait trop vite, et tête nue) ;
2ème rang (assis) : Daniel Ogrodowicz, Hug, Pantofel, (+ ?) Francis Wolwowicz, Dominique Mugnier, Pierre Schwab, ?, Dobek, Roland Jaboberger (frère puiné de Michel, aussi sur la photo), Pascal Sette ;
3ème rang (debout) : Patrick Bechler, Daniel Zussy (frère aîné de Roland, aussi sur la photo), Alain Klee, Maurice Vallier, Bruno Schwab, (+) Fernand Roll, (+) Bernard Grzelak, Gabriel Uchronski, Jean-Pierre Matlaszewski ;
4ème rang ((debout : sur des chaises ?) : Francis Hurst, (+) François Tatara (lui aussi latiniste, après moi, l’année suivante), Muller, Corado Rosario, Roland Zussy, bibi (j’ai envie de rajouter :« Ich, persönlich », fr : « moi, personnellement », comme… une certaine Ewa Braun, oui, la ptit’ amie de qui vous savez, wouah ! quand elle légendait ses propres photos, un comble ! un comble de quoi, au fait ? on a que l’embarras du choix, ou même le choix de l’embarras…), (+) Serge Ugarenko ;
5ème rang (debout, sur une table pliante ?) : Gérard Trévisan, Michel Jacoberger, Pierre Fromherz, André Grimsinger, Jean-Louis Kniebily, (+ ?) Guy Morelli.
Cette photo me laisse quand même une curieuse impression ; je ne comprends pas qu’il y manque autant de camarades qui devraient à mon sens s’y trouver : Serge Cozzi, les frères Agozzino (Gaetano et Joseph), Antoine Lombardo, Jean-Luc Fischer, Jean-Jacques Rozek, etc, peut-être ?
A l’arrière-plan du cliché, la villa-école aux murs blancs : comment la Ville du maire (1995-2001) Pierre Vogt, encore actuel Conseiller d’Alsace (hors d’âge…) a-t-elle pu vendre un bâtiment pareil, si patrimonial, quand, plus tard, elle a eu besoin de racheter, éparpillées, au moins deux maisons privées, sous le maire actuel : ah courte vue ! ah incohérence ! quand tu nous tiens ; le maire (+) Arnold, lui, au moins, essayait de se constituer une vue d’ensemble : je vois encore ce pauvre René désorienté, et cachant comme il pouvait son amertume, s souffrance, dans la cave de cette blanche école des garçons, s’occuper en toute hâte de la dévolution d’un stock de bouquins de la bibliothèque des Mdpa, qui s’y trouvait entreposé, là, parce qu’on ne savait pas quoi en faire, que veut-on ? la culture, c’est encombrant…, embarrassant…
33. A présent, une compilation d’articles de Granacher, ou L.G., essentiellement par ordre chronologique de parution, qu’on appellera pour la commodité la compil’ granach’ :
a) Asca-belfort : un compte-rendu-type de match rédigé par Granacher pour le journal « L’Alsace » dans les années 60 (doc fsz) ;
b) Asca-usw, en 48-49 (doc Henri Malecki, ou hm) ;
c) Sur le même match, un second article (doc hm) ;
d) Coupure de presse du 04-09-64 (doc hm) ;
e) Coupure de presse du 28-09-64 (doc hm) ;
f) Coupure de presse de janvier 65 (doc hm) ;
g) 5ème ascension de l’asca en cfa en 1971 (doc rené arnold, ou ra)
h) Sur le même sujet, l’article « concurrent » dans les « Dernières nouvelles », rédigé probablement par Gérard Papierer (doc ra) ;
i) Compte-rendu de l’assemblée générale 1973 de la section de foot de l’asca (doc fsz) ;
j) L’Asca en cfa pour la 11ème fois, saison 66-67, page spéciale magistrale ! parue dans la revue « France football » (doc fsz) ;
k) A propos de la visite des « All stars », mon 1er « pastiche » de Granach, le 07-09-73 (doc fsz) ;
l) J’enfonce le clou par un second pastiche (et pas pastis), sur le même sujet, le 13-09-73 (doc fsz).
34. On ne peut quitter ce sujet du jour sans un mot sur ce qui pouvait être l’ambiance au stade du Château d’eau, quand l’équipe-fanion du club des mineurs s’y produisait le dimanche après midi ; c’est, devinez qui ? Granach’ qui annonçait au micro de la tribune la composition des équipes; pour « chauffer » un peu les spectateurs, il ne passait sur disques que des airs militaires, ce qui permettait à l’Asca d’échapper à la taxe de la Sacem sur les droits d’auteur ; dans les années 50, le curé (dit « français », par rapport à l’autre, le nôtre, le « polonais », Joseph Litschgy, (qui m’a baptisé, ledit polonais étant tout juste en vacances) de Langenzug, était populaire en particulier parce qu’il était un fervent supporter du club, pipe en bouche et en soutane ; dans la chaleur de son soutien, il lui arrivait de s’emporter d’une sonore épithète, contre untel ou tel autre des adversaires, qui venait de faire quelque chose de pas régulier contre de nos blanc-et-bleu ; pour excuser son écart, il disait alors, quelle savoureuse anecdote, n’est-ce pas : « Au stade, le bon Dieu n’entend rien. » Un jour de match où on pensait qu’il serait absent car il avait à s’occuper à Graffenwald de deux missionnaires noirs en visite, eh bien on l’a vu arriver quand même, et avec eux : c’est pour dire combien il aimait le foot, et était attaché à l’Asca, il fallait surtout ne manquer aucune occasion de la saison. Ces dimanches de matchs, c’est le cas de dire qu’il y avait du sport, que le sport était une fête, que le sport était roi, et que des personnages caractérisés, relevés, s’extériorisaient, vigoureusement ! Et, pour cela, ils restent inoubliables.
35. Fait le 15-03-25 par fsz; que le docteur Jacques Hardy, ainsi que son épouse et ange gardien Christiane, trouve ici nos remerciements amicaux pour sa contribution généreuse à cet article, par l’évocation orale, manuscrite, et iconographique ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).