e-XIV Le coin des amis
Le président JJW raconte (1) :
« … tellement c’est gros ! »
La Peugeot 205, fabriquée CHEZ NOUS, à Mulhouse !
Il n’est pas rare pour nous d’avoir des motifs d’inquiétude pour la bonne santé de Stellantis-Peugeot-Mulhouse, indispensable à tout le secteur économique sud alsacien. En lien avec une de ces récentes occasions, le président Jean-Jacques Weber partage avec nous ci-dessous un sacré souvenir, le souvenir d’un « sacré numéro » (comme disait la pub) : la 205, qui a failli nous passer sous le nez ! fsz
« Je viens d’apprendre avec stupéfaction que Peugeot-Mulhouse risque de perdre de nombreux emplois et peut-être son avenir par de nouvelles restructurations planifiées par les grands patrons.
Cela me blesse et ravive mes souvenirs, en particulier ceux liés à une précédente mesure de la haute direction en 1982, qui avait décidé de faire fabriquer la 205 non pas à Mulhouse, mais à Rennes !
Mulhouse fabriquait avec brio la 104, et sous l’impulsion de M. Jeanmougin, faisait des préparatifs pour un nouveau véhicule : la 205.
J’étais alors conseiller général du canton de Habsheim et conseiller municipal de Sausheim. Et j’étais attaché parlementaire du sénateur Pierre Schielé.
C’est le maire de Rixheim, le regretté Pierre Braun, qui me parla le premier du projet du patron de Peugeot, M. Jean-Paul Parayre.
- Jeanmougin avait interdiction d’en parler avant l’annonce officielle, mais me le confirma à mots couverts.
Membre du CDS (Centre des démocrates sociaux), je connaissais quelques Bretons, et en particulier Pierre Méhaignerie (pas encore ministre) que je croisais lors de nos réunions à Paris. Je l’appelai, et, tout heureux, il me confirma la nouvelle, une bombe économique pour Rennes ! « Vous êtes trop chers, Jean-Jacques, à Mulhouse, ils cherchaient un site moins grevé d’impôts locaux, et nous sommes à ce point de vue les moins chers de France ! », me dit-il, un peu narquois.
Méhaignerie me donna des détails précis sur la fiscalité appliquée à Rennes, et je demeurai bouche bée ! Car Rennes appliquait des taux de 5,7%, et nous étions à Sausheim à moins de 5% ! Il y avait à tout le moins un lézard !
Pierre Schielé m’autorisa à me servir de son nom pour me faire ouvrir les portes du saint des saints de Peugeot à Paris, et, ayant obtenu du directeur de Peugeot-Mulhouse, le regretté Pierre Jeanmougin, lui-même très énervé et en même temps complètement désabusé, tous les sésames possibles, car n’entre pas qui veut dans la « grande maison », j’ai franchi, armé de mon optimisme juvénile et candide, les multiples obstacles, sous forme de secrétariats divers et variés, et obtenu un rendez-vous avec M. Parayre. Celui-ci, arrivé la tête de Peugeot en 1977, polytechnicien, avait été conseiller technique au cabinet de Jacques Chirac, et il me semble que le « pilote » du projet H 24 était M. Jean Boillot.
- Parayre semblait un peu amusé de ma démarche : « Je comprends bien que cela ne vous fasse pas plaisir, mais à nous non plus, les temps sont très durs, Peugeot sort de mois difficiles et nous devons prendre des mesures pour restaurer nos marges ! et donc trouver des sites plus favorables, ce qui sera le cas à Rennes. »
Pendant qu’aimablement il essayait de me faire comprendre qu’il me faisait une véritable faveur en me recevant alors que l’affaire était bouclée, un autre homme venait d’entrer dans le bureau et de s’asseoir, sans autre, sur une chaise : M. Jacques Calvet, le numéro 2 de Peugeot, tout juste poli. « Il n’y a pas photo entre Mulhouse et Rennes, jeune homme, me dit en substance M. Calvet : vous êtes à plus de 15% en taux, Rennes à un plus de 5%. »
« C’est justement pour cela que je vous ai demandé une audience, Monsieur le Président, car quelque chose cloche dans votre raisonnement ! »
« Ah oui, et quoi donc, Monsieur le conseiller général ? », appuyant narquoisement sur le titre, dont moi j’étais fier.
« Eh bien, voyez-vous, Monsieur le Président, ce n’est pas Mulhouse qui fixe la fiscalité de Peugeot-Mulhouse, mais bel et bien la commune dont je suis un modeste élu, Sausheim, sur le ban de laquelle se trouve précisément votre usine ! Et vous payez non pas au taux mulhousien, qui est fort, c’est vrai, mais à Sausheim, et chez nous le taux est nettement inférieur à celui de Rennes, il fait 4,72% seulement ! »
Les deux se regardent, me fixent, incrédules.
« Appelez le service fiscal », dit M. Calvet sur l’interphone de M. Parayre, et ils ne disent plus mot, sans doute avec dans l’idée que je viens de leur dire des choses un peu farfelues, tellement c’est gros !
Un Monsieur arrive, dossier à la main.
« Monsieur le conseiller général de Mulhouse nous dit que c’est sa commune, « chauchame », qui établit la fiscalité de notre usine à Mulhouse. Et que leur taux est inférieur à ce que nous avons cru jusqu’ici. »
L’homme ouvre le dossier : « Mulhouse, Mulhouse… tiens, un taux de 15,2%, Monsieur le Président ! »
« C’est bien ce que nous payons ? – Mais certainement, Monsieur le Président ! » M. Parayre se cale dans son fauteuil et me regarde d’un air navré.
- Calvet, lui, s’apprête à me mettre dehors, quand me vient une inspiration : « Ce taux n’est pas celui de votre usine de Sausheim, mais sans doute d’une annexe, à Mulhouse, pour laquelle vous êtes imposé au taux mulhousien. Cela peut facilement se contrôler, il suffirait d’appeler les services fiscaux du Haut-Rhin… »
Ce qui est fait devant moi. Parayre est écarlate et Calvet appelle le directeur du planning. Le directeur des services fiscaux de Peugeot, dont je n’ai pas retenu le nom, disparaît en silence.
« On va vérifier tout cela, c’est incompréhensible, Monsieur le Conseiller général, oui incompréhensible ! » me dit Parayre en me tenant la porte de son bureau…
Je n’ai jamais revu M. Parayre qui a été remplacé en 1982 par son ancien adjoint, Jacques Calvet, ancien énarque et du cabinet de M. Giscard d’Estaing.
- Jeanmougin a été promu à Sochaux et un nouveau patron est venu à Mulhouse, un vrai patron, M. Guy Perrier, ancien para de la Légion étrangère, un homme chaleureux disparu en avril 2017, qui a lancé la 205, à Sausheim, naturellement. Enfin à Peugeot Mulhouse !
J’ai tenu à raconter cette histoire dont je garantis la véracité, non pour me mettre en valeur –à mon âge on est au-dessus de cela-, mais pour dire à tous les responsables politiques et économiques qu’il ne faut jamais perdre espoir, surtout quand le sort de milliers de salariés est en jeu. »
Jean-Jacques WEBER,
ancien maire de Sausheim.
- « Notre »photo (extraite des archives du journal « L’Alsace ») :Jean-Jacques Weber, jeune conseiller général de moins de quarante ans, élu tout juste quelques semaines plus tôt, assiste, insigne de fonction à la boutonnière, à la signature par le président de la République (+) Valéry Giscard d’Estaing du livre d’or de la Ville de Thann, le 14-05-79 ; les deux autres personnalités présentes sur ce fameux cliché sont le sénateur-maire (+) Pierre Schielé (tout à gauche), dont jjw est l’attaché parlementaire, et le sénateur (+) Henri Goetschy (penché), auquel il succédera à la tête du Conseil général du Haut-Rhin ; cette vue ainsi disposée donne une bonne idée du « bain politique » dans lequel évolue l’élu de « chauchame » (prononciation parisienne déformée de « Sausheim », tout le monde l’aura compris…) dans cette phase de début de carrière au cours de laquelle il intervient, et avec succès, pour la fabrication à Mulhouse de la 205, un enjeu régional de première grandeur.
- Supplément : pour ceux, les mordus, et il y en a ! qui voudraient en apprendre encore plus sur la vie de la 205, industrielle, commerciale, patrimoniale, ils gagneront à se procurer le journal « L’Alsace » du dimanche 12 mars 2023, journal qui a sorti comme on dit le grand jeu, deux pages entières (la 24 et la 36) pour le 40ème anniversaire du véhicule !sous la houlette de son journaliste Laurent Gentilhomme, qui a jugé tout à fait de mise de reprendre très substantiellement le récit ci-dessus de jjw, mis à sa disposition pour le plaisir de servir l’info, et ce sous le titre (p24) : « Une « Mulhousienne » qui faillit être « Rennaise ». J’ai demandé au présidentce qu’il a pensé de cette restitution ; il m’a répondu, un peu comme quand il était lui-même, excusez du peu, chef des informations de ce quotidien : « Le gars a fait du bon boulot. » C’est vrai, lisez, vous ne serez pas déçus.
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