e XV- Les Polonais à Wittenheim
1) Pour faire mémoire du lazariste Lason, aumonier des Polonais de Wittenheim de 1951 à 1975, nous avons d’abord traduit le compte-rendu en polonais de ses obsèques, paru dans le quotidien des immigrés le « Narodowiec.
« Obsèques du curé missionnaire de Wittenheim
Andrzej Lason
Article du journal en polonais « Narodowiec » (de Lens)
site polonais-et-potasse.com
« Comme l’a indiqué dans son allocution le président du 9ème district du PZK (« Union catholique polonaise »), la nouvelle s’est répandue comme l’éclair dans la communauté polonaise d’Alsace que le 18 mai 1975 le curé Lason s’est endormi dans le Seigneur.
Le 4 mai encore il a été présent à Ensisheim à la fête nationale, où il s’est réjoui que nous sommes si nombreux à commémorer cette fête de la reine de la couronne de Pologne.
Cependant, par un décret du Seigneur, il a terminé le 18 mai la mission pour laquelle il a été appelé par Dieu.
Sa disparition nous a plongés dans la tristesse avant tout nous les Polonais, car pendant son séjour parmi nous il n’a pas ménagé ses efforts, sa peine, et sa charité pour son prochain.
Il est né dans le village de Mieknia, de la voïvodie de Cracovie, le 21 novembre 1910. Il a terminé dans cette ville ses études de théologie, et le 16 juin 1935 il y a été ordonné (ndt : à Cracovie) prêtre-missionnaire. Il appartenait à la Congrégation des lazaristes, et a pris en charge la paroisse de l’église de la sainte Croix à Varsovie.
En 1944, il a pris une part active à l’insurrection de Varsovie, il remplissait la fonction d’aumônier dans l’armée nationale, avec le grade de major.
Tombé en captivité, Il a été déporté dans plusieurs prisons allemandes.
Après sa libération, il a œuvré dans plusieurs paroisses polonaises en Allemagne jusqu’en 1951.
Il a alors commencé son sacerdoce dans le bassin potassique alsacien, comme curé du culte en polonais à Wittenheim-Théodore et Jeune bois, Staffelfelden-Rossalmend, ainsi que Colmar.
Pendant les 24 ans de sa présence dans le bassin potassique, il s’est fait apprécier et prendre en sympathie, non seulement par les Polonais, mais aussi par les Français. A preuve les nombreux témoignages des fidèles qui l’on accompagné au lieu du repos éternel.
La messe des morts a été concélébrée par des prêtres de plusieurs nationalités, en présence de l’archevêque de Strasbourg J. Weber, sous la présidence du recteur de la Mission catholique polonaise, le prélat Zbigniew Bernacki.
Autour de l’autel étaient présents les ecclésiastiques suivants : Koenig, le chanoine B. Bieszczad, maître D. Ziolkowski, J. Styla, Z. Zarzycki, deux prêtres ukrainiens, Dlubak, Choroszy, Krupa, un prêtre italien et un espagnol.
L’enseignement était représenté par Mme L. Kuliberda, M. Jedrzejowski ; étaient présentes les sœurs du Sacré-Cœur ; le scoutisme était représenté par les commandants M. Balabuszynski et Mme A. Lasek, et par M. Bronowicki.
Au cimetière, les drapeaux, les prêtres, le groupe « Tatry », les choristes dirigés par M. F. Dobros, se sont disposés en demi-cercle devant le cercueil.
Après les prières, le président du PZK a prononcé des paroles d’adieu au nom des associations catholiques, au nom de la rédaction du quotidien polonais le « Narodowiec », et du syndicat CFTC.
Ensuite, se sont exprimés successivement le père Stawarski, supérieur des lazaristes, l’abbé Zalewski, de Cracovie, le maire de Wittenheim M. Adelbrecht, le maire de Staffelfelden M. Fuchs.
« Que la terre te soit légère, notre curé André Lason. »
- W.
Ndt :
– traduit par fsz le 06-05-20 ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).
– bw sont les initiales de Bruno Wcislo, d’Ensisheim, le président du pzk du secteur.
– Mieknia, commune d’environ 11000habitants, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de la capitale régionale de la Basse-Silésie Wroclaw.
Souvenirs : Lason, le curé-fumeur
2) A présent, quelques compléments, pour mieux portraiturer le prêtre haut en couleurs qu’a été André Lason, en glanant dans les souvenirs spontanés des uns et des autres, et dans les miens, évidemment…
3) Un cousin de Fernandel. A sa manière, Lason est une sorte de Don Camillo chez les Polonais, curé d’avant le Concile jusqu’à la caricature.
4) Je revois Lason à Thierenbach déambuler avec une évidente superbe parmi les pèlerins, soutane et barrette noires de rigueur, missel en main, surplis en coton blanc impeccablement amidonné. Présenté comme ceci, on a que le portrait du curé-type chez les Polonais de l’époque, un guide ultraconservateur, aristocratique, de mentalité médiévale, surplombant ses brebis vassales, craintives et dociles. Mais là où Lason n’était plus seulement un curé de série, mais où il devenait véritablement Lason, c’est quand on le voyait arborer sur son surplis un gilet noir en coton perlé crocheté avec des motifs et des jours artistiques, qu’il était le seul à porter parmi les prêtres présents. Le vêtement était l’œuvre des pieuses du Rosaire vivant qui voulaient avoir un curé magnifiquement orné, et qui en même temps ne risquait pas de prendre froid. Le gilet, déboutonné, avec col en V, avait évidemment deux poches surpiquées, et dans l’une il y avait le fameux paquet de cigarettes de Lason, des « Gitanes » je crois, et Lason faisait son tour en fumant ostensiblement, seul curé fumeur, aussi, des prêtres présents. Il pouvait se permettre ce vice, et au vu et au su de tous, car il était Lason de Wittenheim, messager de la Bonne Parole. Mais le tabagisme, à l’époque n’était presque jamais considéré comme négatif. S’il était considéré comme péché, c’était péché véniel, une forme mineure du péché de gourmandise.
5) C’est marrant cet état d’esprit des petites prieuses ridées-fripées : en habillant leur prêtre comme une poupée, une mascotte, elles étaient sûres de se rapprocher du Seigneur, et de mériter mieux leur place au paradis.
6) Digression. Bien des années plus tard, j’ai connu une émouvante grand-mère qui nourrissait la même espérance en tricotant des chaussettes en laine pour le cardinal Gulbinowicz. Au moment de les lui offrir, on vit qu’elles étaient rouges, rouges de chez rouge, parce que le rouge est la couleur distinctive d’un cardinal. Le prélat accueillit le cadeau, embarrassé, amusé et attendri en même temps par la manifestation d’une foi aussi naïve et authentique. Gulba n’a pas porté lesdites chaussettes, il ne pensait pas devoir pousser l’accomplissement de son éminence jusqu’à cette extrémité, de sa personne.
7) L’idée que je retiens de ces deux anecdotes est que la foi peut pousser des âmes simples et sincères à une sorte de fétichisme, de « reliqualisation » : crochetant et tricotant, les petites ouvrières croyaient égrener leur chapelet, sans doute, auquel elles avaient trouvé, en plus, un substitut concrètement utile. Misterium Fidei ! il est grand le mystère de la Foi !
8) Les couvercles des casseroles. Parmi les « initiés » de la communauté polonaise, une image très forte reste de Lason, celle d’ un pique-assiette, il s’invite chez les gens pour le déjeuner ; il débarque à l’improviste au moment de l’apéro, salue la cuisinière à ses fourneaux et soulève les couvercles des casseroles pour savoir ce qu’il y a au menu ; si cela lui convient, il reste, il prend place, racine parfois ; personne n’ose réagir, car il est le curé ; lui ne voit pas malice à sa curiosité, un simple geste de familiarité, de fraternisation même ; le prêtre est à la charge de ses paroissiens, donc il est partout chez lui, voilà tout ; encore une fois, concernant son statut dans la communauté, son état d’esprit est celui d’un attardé ; enfin : il a un sacré coup de fourchette, et lève bien le coude aussi : il vaut mieux l’avoir en photo que de le nourrir, cela revient moins cher !
9) Rabelaisien, Lason est aussi picaresque, curé par monts et par vaux, soutane au vent, mobile, en mouvement, sur un deux roues motorisé, vespa ou mobylette. Il a une âme d’assistante sociale, ou de délégué syndical, il mouille son maillot pour défendre les intérêts matériels et moraux de ses ouailles, arracher des solutions à leurs problèmes. Un cadre de niveau très élevé aux Mines de potasse, le président Germain Sieffert, m’a dit, sourire au coin des lèvres : « Tous les trois jours, à la Direction générale, on l’avait dans les jambes, il y avait toujours quelque chose qui n’allait pas, il avait toujours besoin de quelque chose, pour tel ou tel, il était fatigant. » J’ai ajouté : fatigant, donc très moderne, un homme engagé dans le monde.
10) Truelle. Aussi ne faut-il pas s’étonner outre mesure de trouver une photo de lui manches retroussées et truelle en main, lors de la construction en 58 du (premier) chalet des scouts polonais à Urbès. Si je n’avais pas su qui il était, j’aurais pu le prendre tout naturellement pour un « prêtre ouvrier », de l’Intérieur (de la France), tiens !
11) Trompe l’œil. Evidemment, la photo à la truelle est un trompe- l’œil, Lason n’était pas plus maçon que moi. Elle est significative quand même, en ce qu’elle définit le bon prêtre comme partageant la vie de ses paroissiens, se livrant aux mêmes activités qu’eux.
12) Charité. Appartenant à la Congrégation des lazaristes, Lason n’a pas eu à se montrer particulièrement lazariste car dans son giron la misère extrême, matérielle ou spirituelle, n’ existe pas, telle que le fondateur St-Vincent de Paul veut la combattre depuis son lointain XVIIème siècle. Par contre, Lason pasteur des travailleurs de force de la mine est sans doute le prêtre polonais qui est allé le plus loin, et de loin, dans la mise en œuvre, extravertie, à son niveau, de la célébrissime encyclique du pape Léon XIII « Rerum novarum » (« Le désir de choses nouvelles… ») publiée en 1891 et constituant le texte fondateur de ce qu’on appelle encore aujourd’hui « La doctrine sociale de l’Eglise ». L’essentiel dans le sacerdoce est de pratiquer la charité (N’oublions pas ce qu’en dit St-Augustin lui-même : « La Charité est plus que toutes les vertus. »), autrement dit de corriger les inégalités de fortune, pour pourvoir aux besoins de tous.
13) Burettes. Maurice Gardini, enfant de chœur de Lason, me remémore qu’il a été renvoyé de cet emploi, pour s’être enivré avec le vin de messe. Faut-il se scandaliser de cette anecdote ? Mais non ! c’est un classique, parmi d’autres, de la vie de sacristie…
14) Garage. Mon ami le lazariste Jacek Styla, qui a succédé à Lason, m’a donné quelques documents à exploiter. Dans la liasse, l’autorisation de construire un garage, en 58, dans le jardin de son logement, donnée par les MDPA à Lason : le temps du tout-auto commençait…
15) Décès : à Mulhouse
16) Tombe : le tombeau de Lason est encore visible au cimetière de 68270 Wittenheim, situé dans le quartier E, rang 1, tombe n° 4 ; l’entretien du lieu, m’a-t-on assuré, est effectué par les services de la Ville.
17) Tombe, Additif du 23-07-21 : à la gauche de la tombe, il y a trois autres tombes de curés « français » de Wittenheim ; dans le rang suivant, deux tombes à retenir voisinent avec celle de Lason, celle de mes amis Paul Zwingelstein (1943-2001), tout juste élu maire en 2001, et Lucien Wersinger, comme moi vice-président de l’association locale « Amitié franco-polonaise », époux de la présidente Annabelle ; la stèle de Lason, telle que je l’ai visitée ce matin vendredi , n’a pas de « dos » vertical, ou de « ciel » à sa tête (par analogie avec « ciel de lit » ; elle ne présente qu’une dalle horizontale de pierre foncée très épaisse, de l’ordre d’une quinzaine de centimètres, écrasante ! sur laquelle figurent en creux, taillées dans la masse, ton sur ton (S’agit-il d’un effacement voulu, symbolique ?), les inscriptions habituelles : prénom (en polonais), nom, dates biographiques, qualité (« aumônier polonais ») ; l’érosion, le noircissement du matériau ont rendu ces indications parfaitement illisibles pour quelqu’un qui n’est pas, comme moi, averti de l’identité du défunt qui repose là ; Il faudrait évidemment redonner de la lisibilité, de la repérabilité, déchiffrabilité aux dites mentions.
18) Illustrations.
- a) fac simile de l’article en polonais de Wcislo dans le « Narodowiec », rendant compte des obsèques de Lason, et dont ma traduction en français est proposée au début de cet article.
- b) cérémonie dans une cité minière ; à côté de Lason qui préside, le curé Bieszczad, chargé d’âmes des Polonais de Wittelsheim et de Mulhouse, est le plus reconnaissable.
- c) Lason en procession dans la neige à côté de Monseigneur Jean-Julien Weber, évêque de Strabourg.
- d) Lason, le 19-10-58, lors de l’installation du curé Joseph Litschgy à la tête de la paroisse St-Adelphe de Kingersheim ; sur le seuil du presbytère, Litschgy salue le maire Eugène Béhé ;
- e) Lason à genoux à gauche de l’autel lors d’une célébration «franco- française » à la chapelle St-Christophe de Wittenheim-Fernand-Anna, en 1958, à la Fête-Dieu ; ladite chapelle a été sacrifiée bien plus tard sur l’autel de l’expansion de la zone commerciale de la rue de Soultz ; c’est tout Wittenheim, ça : on rase une vraie église, et on érige un faux chevalement : cherchez l’erreur…
- f) Les documents b) à e) ont été mis à notre disposition par notre ami Jean Checinski, que nous remercions.
19) Terminé de rédiger par fsz le 03-03-24 ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).