e-mémpol XV Les Polonais à Wittenheim

Le collège Irène-Joliot-Curie : un beau baptême

par fsz site polonais-et-potasse.com

   1) Il s’agit de se souvenir ici du processus qui a fait d’Irène Joliot-Curie la dédicataire du collège de la rue de l’Espérance à 68270 Wittenheim.

   2) Cette remémoration doit substantiellement au bienveillant concours de M. Alain Roos, premier principal en date de l’Etablissement, de 1997 à 2005, ayant précédemment exercé la même fonction au collège voisin Emile Zola de 68260 Kingersheim.

   3) S’il y a un choix qui ne résulte pas d’improvisation, ou de fantaisie, c’est bien celui d’Irène, qui bien au contraire a été arrêté après soigneuse réflexion.

   4) Dès début 1997, un groupe, que j’ai animé, de professeurs « engagés » du collège François Mauriac, rue du Pelvoux (ensuite incendié et rasé), a commencé des bavardages de récréations sur le sujet du nom des deux nouveaux collèges qui allaient entrer en fonction à la rentrée de septembre 97. Pour l’heure, ils étaient appelés collège-nord et collège-sud. L’héritier administratif de Mauriac devait être celui du nord. Personne ne songeait (encore) à changer son nom.

   5) Chargé de « raisonner » une proposition qui pourrait plaire facilement à une grosse majorité, il s’est spontanément imposé à moi qu’il y avait là une occasion d’innover, dans la toponymie locale, (innover, mot si doux à mon oreille…), une occasion à surtout ne pas rater, comme un penalty, en mettant à l’honneur une femme : quelle évidence, alors !

   6) Pour figurer une éminence féminine qui fasse jeu égal par rapport à celle de Mauriac, il fallait un aussi Prix Nobel, une scientifique face à un littéraire. Dès lors, à la même époque que lui, il n’y avait que les Curie, la mère ou la fille. Le nom de Marie a été surexploité, usé jusqu’à la corde, présent partout, à Mulhouse, Pulversheim, Wittelsheim : ce serait donc évidemment Irène qui serait retenue. On se contenterait d’utiliser son nom marital, c’est plus court, et on n’insiste pas, lourdement ! sur son hérédité. Irène à Wittenheim, sur l’ancien carreau minier de Fernand, et bien elle vivrait toute seule, Irène elle-même, Irène sans déformations.

   7) Pour compléter l’opposition entre les deux personnalités, soulignons que l’un a été un journaliste de droite, catholique, alors que l’autre a été une ministre de gauche, sympathisante communiste, donc athée. Enfin, pour emprunter à une terminologie douteuse, mais semble-t-il de plus en plus prisée, on peut voir en Mauriac un Français « de souche », alors que l’autre est à moitié étrangère, par sa mère, et en l’occurrence à moitié polonaise, ce que du reste toute sa vie elle n’oubliera pas, et ne cachera pas, et pas seulement pour faire plaisir à sa maman.

   8) C’est cette condition de demie polonaise qui nous permet de traiter de « son cas » dans le cadre de la présente étude, consacrée, rappelons-le, à la présence polonaise à Wittenheim sous toutes ses formes.

   9) Une fois l’idée bien conçue, et exprimée clairement, j’ai obtenu son adoption par la Commission permanente du Conseil d’administration du nouveau collège, dit encore pour lors « collège sud ». Dans cette instance, je représentais la liste majoritaire du personnel enseignant « Vigilance et exigence », et étais secondé par Pierre-Yves Westermann, professeur toujours en exercice dans l’Etablissement au moment où je rédige cette remémoration.

   10) Le Principal M. Alain Roos s’est montré chaleureusement zélé pour faire triompher  le « projet-Irène » à tous les stades, au demeurant bien trop nombreux et fastidieux, du processus technocratique de décision.

   11) Sans doute était-il plus facile de rallier tous, je dis bien tous, les suffrages en ajoutant, comme l’a fait, avec insistance, le Chef d’Etablissement, à la proposition le nom « Curie », une « marque » fort (trop ?) installée dans la culture de l’homme de la rue et qui faisait, par là même, spontanément consensus.

   12) Avec la mise, ou remise, dans le circuit du patronyme « Curie », l’esprit de la proposition initiale s’est trouvé trahi, étouffé. Je voulais une Irène, grande fille vivant par elle-même de ses seuls mérites, pour le moins assez nombreux et suffisants, et non pas d’une Irène classiquement petite fille héritière du nom  prestigieux de ses papa-maman. Je voulais une nomination de promotion féministe, au meilleur sens de ce qualificatif, or on a eu une nomination de routine académique.

   13) Cependant, M. Roos a eu cette qualité, bien trop rare dans son corps professionnel, de prendre en charge, sans croire déchoir,  avec son grain de sel en plus évidemment, une idée venue d’abord non de lui, mais de ses subordonnés, venue d’en bas, venue de la base, par quoi il s’est ouvert un droit solide à l’estime générale.

   14) Mais, la véritable grande réussite personnelle du Principal est d’avoir organisé la cérémonie d’inauguration du collège Irène, le 25 juin 99, avec un éclat unique, celui de la présence d’Hélène Langevin-Joliot, la propre fille de la dédicataire, et petite-fille de sa légendaire Marie de grand-mère !

   15) Le « boss » a tant fait que cette journée  particulière a effectivement été bien plus qu’un agglomérat conventionnel de mondanités et divertissements, en l’occurrence un acte pédagogique « fort », comme on dit, au terme duquel tout un chacun a pu accueillir le patronage de l’esprit d’Irène, sorte de sainte laïque, sur le collège, en toute connaissance de cause, après parfaite édification. Quel est, très simplement, le densissime message transporté par la grande dame ? Le savoir est constitutif (indispensable) du Bien.

   16) Pour connaître le parcours d’Hélène, on aura bien sûr pour premier réflexe de consulter sa notice sur le site-web Wikipédia. Qu’en retenir ici, en réduction ? Née en 1927, Hélène, physicienne dans la continuité familiale, s’est elle aussi consacrée à la recherche scientifique, au sein du CNRS, où ses qualités personnelles et ses contributions ont été reconnues. Elle a assumé de manière fort honorable son écrasant héritage,  intellectuel et moral.

   17) Si elle venue à l’inauguration, c’est en partie parce qu’elle est pédagogue dans l’âme ; comme certains caciques de la recherche fondamentale, par exemple le Nobel Charpak, soit dit en passant lui aussi d’origine polonaise, elle est soucieuse de donner à la jeunesse le goût de l’observation et de l’expérimentation scientifiques. A la rubrique « livres en français » du site de vente en ligne « Amazon », sont ainsi proposées plusieurs publications pour le public scolaire auxquelles le nom d’Hélène Langevin est associé.

   18) Le matin de l’inauguration, Hélène, comme il convenait, se prodiguait au maximum à toute la communauté scolaire, en faisant le tour des locaux, sous la conduite du Principal. Je reviens des toilettes, et, dans le couloir, tout à fait par hasard, je tombe nez à nez avec elle. Pour lui faire bon visage, comme il convenait, je lui dis que, d’origine polonaise encore plus qu’elle, à cent pour cent, je suis né dans une rue au nom de sa grand-mère. Elle a l’habitude d’entendre ce genre de chose, et, donc, dans un premier temps, ne réagit que par une attention polie.

   19) Là où je réussis à faire sortir d’elle-même cette insatiable de savoirs nouveaux, c’est quand je lui dis qu’il faut prendre garde que mon lieu de naissance est, dans une cité minière ouvrière dont les toponymes sont dédiés à de grandes figures de l’histoire de la Pologne, est une rue « Madame » Curie, et non Marie Curie. Non, non, lui confirme-je expressément, il n’y a pas de confusion entre la signification des deux lettres initiales M, nous sommes bien confrontés à un cas très peu courant !    

   20) Pourquoi en est-il ainsi ? Et, m’étant dûment penché sur cette curiosité comme correspondant de presse, dans ma jeunesse (et rime, et toc), je donne l’explication, qu’elle accueille comme émerveillée, une seconde elle retrouve le bonheur de l’élève devant la révélation, non, non, je n’exagère pas, c’est moi le plus incrédule. La rue a été nommée en 1926-28, du vivant de Marie, décédée seulement en 34. Or, suivant les bienséances mondaines de la bonne société du temps, la première caractéristique d’un patronyme devenant toponyme, plus simplement dit d’un nom de personne devenant nom de lieu, c’est d’appartenir à un mort ! Pendant qu’elle fait, encore deux secondes, de grands yeux, j’en profite pour piquer ma banderille d’insolence coutumière, en l’assurant que cet usage est (heureusement ?) resté sauf pour le Panthéon, on n’y entre (encore ?) pas vivant ! Les choses ont bien changé, par contre, pour certain dictionnaire : on y entre (déjà) jeune et sort (déjà) vieux… Et rires, francs,  partagés, et bonheur ! Pour faire bonne mesure, j’ai ajouté cette particularité que Madame Curie, à 68310 Wittelsheim, à l’origine, a été un toponyme « itinérant », puisque d’abord utilisé à Graffenwald, cité minière aux grands savants français, puis intégré à Grassegert, avec les grandes gloires polonaises.  Voilà donc ma toute petite anecdote toute personnelle sur ma petite rencontre de la belle Hélène…

   21) Sur l’histoire d’Irène, et de ses proches illustres, on pourrait s’étendre à perte de vue. On consultera d’abord à cet égard les usuels, dont l’incontournable, à défaut d’être toujours impeccable, Wikipédia. Si l’on veut creuser plus, on ira tout droit à la biographie traditionnelle, mais consacrée-rééditée, écrite par Noëlle Loriot (éd Le livre de poche, volume n° 4321, 1991). Si, comme moi, on préfère nettement un ouvrage d’esprit plus actuel, avec à la fois plus de nerf et tout le recul historique souhaitable, on aura largement satisfaction dans la biographie rédigée par Louis-Pascal Jacquemond (éd. Odile Jacob, 2014), où l’on verra, incidemment, que même un inspecteur d’Académie honoraire, plutôt tourné vers des étudiants, peut s’abstenir de pontifier pour se révéler un auteur des plus nourrissants et vivifiants. Quand aux adolescents,  élèves du collège, pour apprendre tout ce qu’il est convenable de savoir à leur sortie sur cette figure qui dans l’agora les aura tant surplombés du regard (sans les regarder de haut), ils liront, de Marianne Chouchan, « Irène Joliot-Curie ou la science au cœur » (Livre de poche, 1998), une référence accessible, sans être inutilement simplette-peoplisée.

   22) Pour condenser ici l’essentiel d’Irène à nos yeux, disons qu’elle fait partie du carré d’as des Curie jeté dans l’épopée scientifique par la découverte du radium et de la radioactivité, récompensé par cinq prix Nobel (entre 1903 et 35), du jamais vu ! en deux matières (physique et chimie), en deux couples (Pierre et Marie, puis Irène et Frédéric), et en deux générations successives (mère veuve, sa fille et son gendre). Irène aurait pu se contenter de rester dans l’ombre de sa mère, mais elle se réalise personnellement en s’engageant dans le monde de son temps comme militante en particulier antifasciste, socialo-communiste, pacifiste (tiens donc, « Irène » vient du grec « la paix », un prénom donc prédestiné), féministe ; son implication symbolique culmine en 1936 : dans le gouvernement du Front populaire, elle devient l’une des trois premières femmes ministres en France. Mère et fille meurent prématurément de la même maladie, de leucémies, contractées pour avoir été exposées à la radioactivité.

   23) Cette contraction biographique sur Irène pourrait constituer une vulgate commode à mémoriser. Elle prolonge évidemment mon article de presse écrit dans le même esprit sur Marie, et publié dans le quotidien « L’Alsace » du vendredi 13 août 1976, p21, dite du « bassin potassique », et paru aussi le même jour en traduction allemande dans l’édition bilingue du même journal. Les deux textes sont évidemment consultables sur mon site-web polonais-et-potasse.com

   24) Ce que je n’ai pas voulu dire à Hélène, car trop long et de nature purement anecdotique, c’est que la boulangerie-pâtisserie tenue à Orsay, dans la vallée de Chevreuse (Essonne) par ma belle-sœur, (+) Hélène elle aussi par coïncidence, était très proche du lieu de travail de la chercheuse, au Cnrs. Ma parente se disait du reste très fière de servir de traiteur, de facto attitré, à l’occasion des réceptions ponctuant la vie académique de la dense intelligentsia du lieu, et du bien connu plateau de Saclay tout à côté.

   25) Un certain temps après la visite d’Hélène à Wittenheim, M. Roos m’apprend qu’un concours est organisé, près de la fin de l’année scolaire, sur le thème « une école, un nom », à l’initiative du rectorat et de la mairie de Strasbourg », où l’on doit primer les élèves qui évoqueront le mieux la personnalité dédicataire de leur Etablissement. Il verrait bien qu’ijc participe, et me demande de préparer une petite équipe de bons compétiteurs issus de mes classes. J’accepte, logique avec moi-même : le collège maintenant baptisé,  il faut faire la pub d’Irène, hors les murs aussi, quand l’occasion se présente. J’ai quatre adolescentes, des élèves-modèles bien sûr, avec lesquelles on va faire le coup.

   26) Le jour venu, l’audition a lieu dans le bâtiment de la CUS (communauté urbaine de Strasbourg), en face de la place de la Bourse, à une heure avancée de l’après-midi.

    27) Dans le jury se distingue, entre autres autorités, l’inspecteur d’Académie M. Thomas, dont M. Roos est une ancienne connaissance ; l’inspecteur sera un peu plus tard délégué personnel de la ministre…Ségolène (au secours !), rien que ça ; j’ai eu l’occasion de rencontrer M. Thomas quelques temps avant, au printemps 97, quand j’ai demandé à mon ancienne connaissance le député-président du Conseil général Jean-Jacques Weber de jeter un œil attentif sur le projet de sectorisation entre les deux nouveaux collèges de Wittenheim, préparé par M. Gérard Meyer, alors principal du collège Mauriac ; il s’agissait de s’assurer que les deux zones de recrutement seraient socio-économiquement le moins déséquilibrées possible, ce qui supposait le regard de gens qui connaissaient bien le terrain, comme jjw et…modestement Moi-Moa-Mao…Mes collègues professeurs avaient des inquiétudes à ce sujet, et non dénuées de fondements divers… Pardon pour cette digression… qui a quand même rapport avec ijc, revenons dans le droit fil de notre sujet.

   28) Nous sommes le seul collège participant de toute l’Académie, ainsi que les seuls représentants du Haut-Rhin. En face, nous n’avons que des lycées, dont des Strabourgeois, en force, qui présentent des prestations, sketches, jeux de rôles, poème même, très supérieures à la nôtre, qui n’étions pas venus pour nous escrimer dans un concours d’éloquence en règle, mais plus humblement faire apprécier la séduction du nom d’Irène, Joliot. Evidemment, notre classement est bien médiocre. Evidemment, nos jeunes sont déçues, parce qu’elles ont bossé, et avec cœur, et capacités. J’en veux un peu au patron, qui ne m’a pas convenablement expliqué les règles du jeu, si bien que nous nous sommes lancés, mais on l’a vu trop tard, au pif. J’ai tort : il ne pouvait pas me dire ce qu’il ignorait, car il a été informé pour le moins approximativement lui-même. Je n’en manquais déjà pas avant cet épisode, mais j’ai trouvé là une nouvelle bonne raison de me méfier de la hiérarchie, et de sa bureaucratie, encore plus quand elle se fait hâtivement improvisatrice. On m’y reprendra, tiens !

   29) Pour finir, je veux encore absolument mentionner que deux maires successifs de Wittenheim, populaires, de mes amis, (+) Roger Zimmermann et (+) Paul Zwingelstein, trop tôt disparus et regrettés, m’ont dit tour à tour leur satisfaction de voir Irène s’inscrire dans la toponymie locale, ainsi une pincée modernisée, comme personnalité politique féminine de gauche, comme de bien entendu. Leurs remerciements me sont une suffisante récompense, je n’ai pas ramé pour rien, mon impulsion a été comprise.

   30) Les illustrations de ce propos proposées ici sont quatre :

  1. a) au sommaire de ce blog, Irène sur toile par Didier Clad et ses élèves, année scolaire 98-99 (photo de Pierre-Yves Westermann) ;
  2. b) Irène aux USA, en mars 1948, in biographie par Loriot, éd Presses de la Renaissance, 1991 ;
  3. c) Hélène attablée avec José Diaz, professeur au collège, dîner du 25-06-99 au collège;
  4. d) le Principal, M. Alain Roos, pendant, comme il écrit, ses années « joliot-curistes », veste tombée, et, mais cela n’est pas visible sur la photo, manches, en permanence, retroussées, un indice révélateur d’un homme qui paye de sa personne ; cliché reçu de l’intéressé en 2018 ;

   ce que ce patron a réalisé de mieux, à mon sens, à ijc, ce sont ses annuels « carrefours des métiers », évidemment destinés à faciliter l’orientation scolaire et professionnelle des élèves ; ils nécessitaient une organisation énorme, et une exécution très disciplinée ; M. Roos maîtrisait admirablement ce brassage des gens et des informations constructives, d’où résultait une animation incroyablement intense pendant toute la matinée d’un samedi ; et il obtenait l’adhésion de tous à ce projet ; qu’il soit ici remercié pour avoir doté « sa boîte » de cet atout-maître ; dommage que son successeur n’ait pas cru devoir poursuivre cette œuvre, justement parce qu’elle était un atout-maître pour conférer de l’attractivité et du renom à la « maison-irène ».

   Signalons encore, car c’est très important, que M. Roos, dès son départ à la retraite, en 2005, a rédigé un consistant mémoire retraçant l’activité, « diverse et variée » qui a été déployée à ijc pendant ses huit années de direction. Son prédécesseur M. Ehm, à François-Mauriac, avait déjà fait pareil. Les deux volumes doivent en principe être disponibles au CDI (Centre de documentation et d’information) de l’Etablissement, si toutefois ils n’ont pas déjà passé à la corbeille, au nom d’une « civilisation » sans mémoire, pour faire place sur les étagères à des mangas, et autres « bédés », dans le goût du temps, car il n’y a presque rien à y lire, et qui sont, culturellement, si vous ne le savez pas encore, très envahissants, attention.

   31)  Terminé de rédiger, par fsz, le samedi 13-06-20 ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).

Laisser un commentaire