Il y a 20 ans L’entrée de la Pologne dans l’UE Tout ça pour ça ?

   1) A quelques semaines à peine de l’élection au Parlement européen du 9 juin (Il faut aller voter, peu importe pour qui, tout suffrage disant également à Poutine : maintenant stop ! l’Europe ne se laissera pas faire !),

 il y a 20 ans, le 1er mai 2004, la Pologne faisait son entrée dans l’Union européenne (UE), après 10 ans de discussions, commencées en 94.

   2) Aujourd’hui, deux décennies après, où en est-on au juste de cette intégration ? « Qu’a-t-on fait, et qu’est ce qui reste à faire ? », pour reprendre la question de fond posée par le portail de l’IE à l’économie française, et que je redirige ici sur l’économie polonaise, question comprise comme la résultante d’une vision préalable géopolitique.

   3) C’est pas brillant comme résultat, le pays n’est toujours pas entré dans l’euro, il a absorbé 200 milliards d’euros de subsides bruxellois, soit dix par an, soit presqu’1 par mois (environ 833 millions pour être plus précis), il est sous perfusion financière ininterrompue, des chiffres qui donnent le vertige ;

 comme celui de la dette publique française, du reste (3000 milliards d’euros, on est mal placés pour donner des leçons d’orthodoxie financière : mais comment a-t-on pu laisser les choses en arriver là ?

    Soljenitsyne a eu raison de dire dans son discours aux étudiants de l’Université de Harvard » (le 08-06-78) que l’Occident va sombrer parce qu’il est atteint par « Le déclin du courage ».)

   4) Donnez-nous juste votre pognon, semblent dire les populistes polonais, et ne vous occupez pas du reste, de ce que nous en faisons (c’est-à-dire comment nous le claquons). Les Polonais ne font rien par eux-mêmes, pour sauvegarder, ou rétablir, ou plutôt établir un minimum de souveraineté ; il n’y a pas d’ambition économique polonaise, il n’y a plus de patriotisme économique polonais (naguère on était au moins fiers d’avoir la Fiat polski ! maintenant même les cornichons polonais sont vendus sous étiquette teutonne…) ; ce sont les capitaux étrangers qui font tourner le pays, donnent du travail aux gens, pour assurer la croissance, améliorer le niveau de vie ; avec les centrales thermiques, et autres industries, la Pologne est le plus gros pollueur d’Europe, avec des nuisances sur l’ensemble de la zone ; pendant je ne sais plus quelles négociations communautaires sur la décarbonation de l’économie, les gouvernementaux polonais ne savaient que pleurnicher (comme d’habitude) : « Laissez-nous le charbon, ou nous n’avons plus rien. »

   5) Le plus déconcertant est que, maintenant qu’on a à grande vitesse implanté l’Occident consumériste en Pologne, si ardemment voulu par les Polonais, la Pologne est restée un pays d’émigration, un pays qu’on quitte parce qu’on n’y voit pas des lendemains qui chantent, la prospérité individuelle désormais possible dans le pays même n’y a rien fait.

   6) Mais ne donnons pas l’impression, fausse, d’être tombé(s) dans le dénigrement, ou autodénigrement, systématique : le plombier polonais, ça existe, il bosse bien, il bosse beaucoup, il bosse pour pas bien cher, on est bien content de l’employer, de l’avoir sous la main : c’est quand même bon, ça, pour l’image de marque ! de ne pas être pris pour des « fout rien » (comme d’autres, à ce qu’il paraît…) ! ça sauve l’honneur…

   7) La veillée de l’entrée

  1. a) A l’association « Amitié franco-polonaise » nous avons organisé des manifestations culturelles, le 30 avril, ainsi que les 1er et 2 mai 2004, pour saluer l’entrée de la Pologne de l’UE. J’ai demandé, pour la veille, une veillée comportant une conférence, de l’ordre de 30 minutes, suivie d’un échange libre avec le public, sur le thème, qui allait de soi, de : « Le chemin de la Pologne vers l’Europe, de 1989 à 2004 ».
  2. b) Si je m’impliquais, il était en effet hors de question qu’on se contente de boire et de manger, il fallait (« Moi vice-président »!) que d’abord on s’instruisît quelque peu : avant la confiture la culture, en somme, ou avant le banquet la messe, une vision de prof, du prof que j’étais, naturellement.
  3. c) J’ai voulu mettre en vedette notre très accorte et avenante amie blonde Lidia Raciborska, ancienne consul de Pologne à Strasbourg (où elle travaillait pour trois…), et ensuite promue conseillère à l’Ambassade à Paris, et lui proposai de plancher ; elle sur qui on pouvait généralement compter a d’abord accepté, puis pour cette fois m’a laissé tomber: elle prenait des congés en Espagne, dame ! ça passait avant la Pologne, quand même, que peut le patriotisme devant la perspective d’un beau bronzage ?
  4. d) Le bec dans l’eau, je me suis rabattu par défaut sur le consul général à Strasbourg, Piotr Szymanowski, un homme fréquentable, mais dont je ne voyais pas encore nettement comment au juste il concevait la pratique de sa fonction : un exercice consistant à faire du « sur place », peut-être…
  5. e) L’intéressé a marqué beaucoup de susceptibilité, a fait beaucoup de manières : il était indigne de lui d’être seulement la doublure de Mme Raciborska ! Après intervention de son patron l’ambassadeur, il a quand même obtempéré…
  6. f) Et le grand soir venu, il nous a fait le coup de la grande émotion et de la grande dramatisation, son cher pays, martyr du nazisme puis du communisme touchait enfin au bord de la Terre promise (du consumérisme, frénétique, dans une fuite en avant délicieuse, surtout à crédit…) ; que c’était rétrograde, comme discours, exactement ce que je voulais éviter, la grande fête de Notre-Dame de la larme à l’œil ; et on donnait des coups d’œil embués, furtifs et répétés à la montre, et minuit approchait, l’heure magique, d’une sorte de nouvelle Nativité… Quelle ringardise… Mais enfin, elle a plu, les gens aiment toujours les épanchements bon marché, barboter avec insistance dans les pleurnicheries : on a quand même eu une assistance de près de cent personnes, d’une certaine conscience civique, des élus locaux, des syndicalistes, des associatifs, des amateurs de manifestations locales, des fidèles, des godillots inconditionnels de la « bonne » cause polonaise… Bref, mon orateur empêtré dans ses rappels historiques peu dégrossis, n’avait rien préparé, n’avait pas bossé du tout (Comment faire confiance à des gens pareils ? qui ne prennent pas le pli qu’il faut, pour bien évoluer dans le nouveau système où ils entrent ?). J’étais irrité (je l’étais peut-être un peu trop facilement, trop souvent, à l’époque).
  7. g) Mais, pour n’avoir pas dit un traître mot (il fallait quand même le faire ! c’était rater un éléphant dans un couloir) de la politique dite « traitement de choc » du ministre Leszek Balcerowicz pour immerger son pays dans l’économie de marché, le consul général n’en a pas mois réussi à se racheter, de manière inattendue. Sur les murs de la salle Albert Camus, nous avons déployé une exposition, qui nous a été procurée par l’Institut polonais à Paris, sur le cinéma français en Pologne, vu à travers l’affiche publicitaire (dont nous avions une cinquantaine). Szymanowski nous a fait faire le tour de la salle, en commentant au passage l’une ou l’autre affiche, attirant notre attention sur tel ou tel détail, qui sans lui serait resté inaperçu ; Depardieu à Varsovie, ou Zola à Cracovie, il avait effectivement des choses à dire là-dessus, il s’est révélé pointu, brillant, comme un spécialiste, qu’il était en effet, comme ancien journaliste culturel, et suivant en particulier l’actualité cinématographique ; et francophone bien au-dessus de la moyenne de ses collègues consuls auxquels nous avons eu affaire, très handicapés, diminués, par une piètre connaissance du français, et qui se servaient de nous, à l’association, pour les traduire (tant bien que mal, c’était pas souvent très concluant) ; à noter que sa femme, rencontrée il y avait longtemps sur les bancs de la fac, elle l’accompagnait, avait été un temps professeur de français au lycée français de Varsovie : avec une référence pareille, on était tranquilles).

   8) « Le beau début ! »

   Dans « L’Atlaséco 2005 » du « Nouvel Observateur », p 174, on peut lire, en rouge : « Au lendemain de son adhésion à l’Union européenne, le pays s’est trouvé plongé dans une crise politique. Le 2 mai, le Premier ministre social-démocrate, Leszek Miller, impliqué dans des affaires de corruption, présentait sa démission. »

Pour faire une bonne première impression, on ne pouvait guère imaginer mieux: dès le premier pas sur la nouvelle scène où il va falloir jouer, honorablement, allez, on trébuche !

   9) Suivant la même source : Le 1er mai 2004, « (…) son économie (ndr : celle de la Pologne) reste faible comparée à celle des membres fondateurs. En 2003, à population égale, son PIB représentait moins du tiers de celui de l’Espagne. Le revenu par habitant, y est de moitié inférieur à celui de la Slovénie, les plus riches des entrants (ndl : dix pays, dont la Pologne, entrent dans l’UE en même temps), et il n’atteint que 10% de celui  du Luxembourg. »

   10) 1 an après

   Un an après l’adhésion, le lundi 16 mai 2005, l’état d’esprit de jeunes Varsoviens à l’égard de l’Europe est ainsi restitué, de manière très caractéristique, dans un article des « Dernières nouvelles d’Alsace », que nous rééditons intégralement ci-dessous ; elle, l’Europe, permet d’aller travailler à l’étranger (Quelle défaite pour la Pologne ! ses jeunes veulent la quitter !), et elle procure des chèques, qui soulagent ; bref, il s’agit avant tout de recevoir, et sans complexes ; on aurait aimé qu’on ait aussi réfléchi, au moins un tout petit peu, à la contribution qu’on apporte au bien de l’ensemble dans lequel on a à s’intégrer ; les jeunes se contentent en fait de revendiquer un nébuleux «  droit à l’avenir », le reste, pitoyable courte vue, ils s’en tapent !

   11) 10 ans après

  1. a) D’après Piotr Smolar, dans l’édition 2013 du « Bilan du Monde », page 124 : « Or son produit intérieur brut (PIB) avait progressé de 4,3% en 2011, après 3,8% en 2010. Cette croissance tout à fait exceptionnelle sur le continent était en partie due aux 67 milliards d’euros de fonds de cohésion versés par Bruxelles, qui ont dopé d’économie. »
  2. b) Et d’enfoncer le clou : « Le gouvernement (ndl : de Donald Tusk, déjà) compte (…) poursuivre sa politique de grands travaux, largement financés par les fonds européens, dont la Pologne est le premier bénéficiaire.»
  3. c) Mais ! pour la première fois, je lis quelque chose qui, même symboliquement, va dans le sens que j’attends, que j’estime normal, celui du : Aide-toi, et le Ciel t’aidera: « Le gouvernement veut aussi mettre en place un fonds d’investissement, par l’intermédiaire de la banque publique BGK, afin de soutenir les investissements privés dans de grands projets d’infrastructures. Objectif : lever 90 milliards de zlotys (22 milliards d’euros) en six ans. »
  4. d) Enfin, quand je lis : « Varsovie n’a pas renoncé à rejoindre la zone euro (ndl : ce serait quand même un minimum, quand on profite de l’Europe, il faut quand même un minimum en jouer le jeu !). Mais le gouvernement en a reporté la date, en attendant notamment que cette zone soit remise en ordre. » Voilà un paravent commode, pour se dispenser des efforts nécessaires ; la preuve ? Dix ans après, cette entrée dans la monnaie unique n’est toujours pas réalisée, la Pologne continue de jouer avec l’Europe à : un pied dedans, un pied dehors ; si l’Otan lui faisait le même coup, j’aimerais bien voir sa tête.

   12) 20 ans après

  1. a) Dans l’ « Atlas Larousse 2024 socio-économique des pays du monde », il est fait état, page 87, d’un des plus méchants problèmes, guerre en Ukraine aidant, que la Pologne doit résoudre, 20 ans après son entrée dans l’Europe communautaire, c’est qu’elle est « Dépendante à hauteur de 70% de la Russie pour ses importations de gaz et de pétrole ». « La production d’énergies renouvelables est une des plus basses de l’UE ». Une fois encore, on constate que le pays est à la traîne, et ne manifeste pas de volonté, de dynamisme pour s’attaquer à ses propres maux.
  2. b) La Pologne a été recyclée par l’Union, digérée, comme après la chute du Mur l’Allemagne de l’Est l’a été par celle de l’Ouest. Mentalement, elle semble être beaucoup trop restée au stade de l’immédiate sortie du communisme. A Mulhouse alors, la ministre débarquée Krystyna Sienkiewicz, amie d’Annabelle Wersinger, n’avait qu’une phrase à la bouche : « La Pologne ne peut pas s’en sortir toute seule, elle doit être aidée.» De fait, elle ne faisait que rédupliquer la « grande », et sans doute seule idée de Walesa : l’Occident doit financer la Pologne, et corollairement, quoi que l’Occident donne à la Pologne, ce n’est jamais assez.
  3. c) Donc, pour moi, la question de septembre 89 au début du gouvernement Mazowiecki, demeure : à quand une Pologne adulte, conséquente, sortie d’assistanat ?

   13) Mais : antithèse

  1. a) Mais tout le monde n’est pas comme moi un terrible déçu de la Pologne. Certains, en ce qui concerne son cheminement dans l’Europe, veulent lui donner des bons points.
  2. b) L’Atlas Larousse 2024, toujours à la page 87, dit en particulier : « Après une forte croissance depuis le début des années 1990, la Pologne est l’un des pays d’Europe qui a le mieux résisté à la crise de 2008 (+15% cumulés de 2008 à 2011) grâce à sa rigueur financière, à une industrie peu dépendante des importations, à la solidité de son système bancaire et financier et à l’accroissement de micro-entreprises dans le secteur tertiaire. »
  3. c) Le journal « Les Echos » du 13-10-23, lui, n’y va pas par quatre chemins et voit « La Pologne métamorphosée par trente ans de miracle… : on peut parler d’un miracle économique pour la Pologne, oui, car une croissance aussi forte et régulière sur longue période est exceptionnelle. »
  4. d) On lira enfin avec intérêt l’analyse livrée le 08-02-24 de la situation de l’économie polonaise actuelle par Jules Basset, un observateur dont le moins qu’on puisse dire est qu’il sait « positiver » (portail-web de « L’intelligence économique »).

   14) Mais conclusion

  1. a) Au-delà de tout propos, un constat reste inattaquable : si miracle polonais il y a, ne nous payons quand même pas trop de mots, ce sont les les étrangers qui l’ont fait, et pas les Polonais. Donc le motif de mon ire reste entier : que font les Polonais pour grandir par eux-mêmes, devenir leurs propres maîtres ? répondez : lugubre Morawiecki, affreux Kaczynski, colérique Duda.
  2. b) Moi, je suis un type simple, j’aime que boulanger soit maître chez soi; dans cette mesure, je repose la question : au lieu d’être prêts à vendre les bijoux de famille sur l’autel du mieux-être immédiat, et éphémère, comme Walesa, qui était prêt à vendre le presbytère de Gdansk à Jean-Jacques Weber, que faites –vous, Polonais de tous bords, pour enfin poloniser économiquement la Pologne? et tiens, militairement, aussi, tant qu’on y est ?
  3. c) La même question, mais à degré moindre, vaut pour la France, qu’on formulait déjà il y a près de quarante ans, de la manière suivante : qu’y a-t-il encore de français sur les Champs-Elysées? Et la réponse humoristique de rigueur était : rien… ah si, le pub Renault… comme ça les terroristes savent où déposer les bombes.
  4. d) Voilà : comme ça vous ne pourrez pas me dire que je ne vois que votre paille, et pas ma poutre (relire le cas échéant la fable de La Fontaine), de Français… d’origine polonaise….
  5. e) Bref : l’entrée de la Pologne dans l’UE l’a sauvée du sous-développement ; maintenant, 20 ans après, il reste à faire qu’elle ne soit plus un pays de rang incertain, négligeable dans le concert des nations. Pour peser réellement, le poids démographique ne suffit pas. Polonais : prenez-vous donc en mains une bonne fois, et comptez sur votre propre argent.

15) Illustrations :

  1. a) en sommaire, le drapeau bleu à la roue étoilée de l’Union européenne ; à regarder en écoutant « L’Ode à la joie » du dernier mouvement de la 9ème symphonie de Beethoven ;
  2. b) en juin 2006 à l’Ecomusée d’Ungersheim le consul général de Pologne d’alors à Strasbourg Piotr Szymanowski, en conversation amicale avec Bella Wersinger, en vert, de dos ; à droite, son épouse; il a été le « conférencier » de « la veillée de l’entrée », le 30-04-2004, à la salle Albert Camus de Wittenheim (photo de (+) René Hitter), organisée par l’association locale « Amitié franco-polonaise ».
  3. c) Article des DNA du lundi 16-05-05 intitulé : « Les Polonais aiment beaucoup plus l’Europe qu’on ne le croit. »

   16) Terminé de rédiger le 13-05-24 par fsz ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).

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