e-mémpol XV Les Polonais à Wittenheim

La Vierge noire brûlée de l’église Ste-Barbe

Ah ! ces drôles de coïncidences…

par fsz site polonais-et-potasse.com

   1) La Vierge noire polonaise de Wittenheim, une reproduction peinte sur toile, avec son cadre en bois foncé, en fait une Vierge à l’Enfant Jésus,  se trouve à l’église Ste-Barbe, dans la cité minière correspondant au puits « Théodore ».

   2) Un autel secondaire est délibérément dédié à ce tableau depuis, presque, la mise en service de l’Eglise, en décembre 1929. ; il se trouve à gauche du maître-autel ; à droite du tableau a été fixé en 1950 l’ex-voto, en latin, sur marbre blanc, consacré à la mémoire du curé Krupinski, assassiné-exterminé à Dachau.

   3) L’œuvre originale, attribuée à l’évangéliste St-Luc lui-même, réalisée sur le bois de la table, fabriquée par St-Joseph le charpentier, du logis de la sainte famille à Nazareth, se trouve en Pologne, vers le sud, à Czestochowa, au monastère des frères paulins qui se trouve sur la colline appelée « Jasna Gora », ou « mont de lumière ».

   4) Czestochowa a été appelée « le grand confessionnal de la Pologne » ; c’est un lieu de pèlerinage national, et international, de même niveau, pour l’Europe de l’Est, que ceux de Lourdes, ou de Fatima.

   5) Le tableau, considéré comme « miraculeux », occupe une place éminente, dans le catholicisme polonais, aussi bien que dans l’histoire du pays, surtout depuis qu’en 1665 le roi Jean-Casimir a déclaré La Vierge « reine de la couronne de Pologne ». Depuis lors, sur le plan patriotique, l’effigie de la Vierge noire est devenue aussi significative  que le drapeau rouge et blanc, et que l’emblème de l’aigle blanc. Un leader comme Lech Walesa, par exemple, s’en est oh ! combien ! réclamé, contre les communistes, en l’épinglant à la boutonnière de sa veste.

   6) En réalité, le tableau actuel visible à Ste-Barbe est une seconde copie, à l’identique, d’une première, sinistrée, et qu’il a donc fallu remplacer.

   7) Peu de mois après la mise en service de l’église nouvellement construite, le premier tableau a été installé, au-dessus de son autel, le 15 août 1930, en grande cérémonie, sous la présidence de Monseigneur Ruch, alors évêque de Strasbourg. Le choix de la date tombe sous le sens : il s’agit de la fête de l’Assomption, de la Vierge.

   8) Un éclairage électrique au-dessus du tableau a plus tard été ajouté, pour le mettre mieux en évidence ; car il faut bien reconnaître que le coin de l’autel est bien sombre, manquant de lumière naturelle du jour.

   9) Cette installation n’a pas été réalisée sans la déterminante incitation du directeur général des Mines, de 24 à 37, Pierre de Retz, dont la polonophilie, sans être officielle, n’était vraiment un mystère pour personne. Elle représentait une main amicale déjà tendue au personnel polonais de l’Entreprise, dont l’effectif avait considérablement grossi en peu de temps. La Vierge noire installée, les Polonais devaient se sentir pris en considération, même déjà reconnus, et, pourquoi pas ? chez eux.

   10) La présence de Mgr Ruch à Wittenheim dans la communauté polonaise manifeste évidemment sa sollicitude précoce à l’égard des nouveaux immigrés venus d’un pays toujours ami. On ne saurait donc reprocher, en principe, de la zénophobie , au moins à une certaine partie du clergé autochtone. Cette sollicitude est d’autant plus manifeste que, fait rare, la visite de Ruch en 30 est sa seconde à Ste-barbe en moins d’un an, le prélat ayant en effet béni la nouvelle église ouverte au culte le 1er décembre 29.

   11) Le premier prélat polonais à visiter ses compatriotes du Bassin potassique sera en 1934 Mgr Kubina, justement évêque de Czestochowa, qui fait halte en particulier à Mulhouse et à Pulversheim. Les débuts vigoureux de l’immigration sont alors déjà vieux de dix ans, et Ruch sera donc venu quatre ans plus tôt.

   12) Retz et Ruch font ensemble bien voir qu’à un certain niveau de responsabilité sociale, on est dès l’origine bien conscient de la vague migratoire en cours, et de ses premières évidentes et importantes implications, dans ce qui est désormais tout un bassin d’emploi, une entité économique qu’il faudra savoir gérer, au mieux, si possible sans…secousses…

   13) Pour se représenter encore précisément l’état d’esprit qui règne en 1930 dans la communauté polonaise à peine constituée, il faut rappeler que la « renaissance » (« Odrodzenia ») de la Pologne comme Etat souverain en Europe va alors seulement vers ses douze ans. C’est frais, c’est encore comme neuf.

   14) Et dans le même ordre d’idées, Il convient de savoir qu’à l’Assomption de 1930, les Polonais commémorent les seulement dix ans d’une bataille militaire à l’avantage des Polonais qui a surpris le monde entier. En effet, dans le cadre de la guerre polono-soviétique de 18-20 (mon jeune grand-père maternel en était déjà, à dix-huit ans, comme engagé volontaire), le maréchal Joseph Pilsudski a réussi par une audacieuse stratégie (un peu inspirée… par les militaires français dépêchés sur place, dont le capitaine Charles De Gaulle, qui deviendra l’homme de l’appel du 18 juin) à repousser définitivement l’envahisseur russe aux portes de la capitale Varsovie. On a voulu voir dans cette victoire ce qui est resté comme « le miracle de la Vistule » ! Il a même valu au chef vainqueur d’être mis à égalité avec Alexandre le grand, la comparaison est quand même un peu exagérée… Toujours est-il que le prestige acquis a facilité au maréchal l’établissement de sa dictature sur la Pologne à peine six ans plus tard, en 1926. L’homme mourra en 1935, laissant derrière lui sa légende, et des grognards nostalgiques, un peu comme ceux de Napoléon, favorables à un régime autoritaire à l’intérieur, et ambitieux à l’extérieur…

   15) L’installation de la Vierge noire à Wittenheim, quoi qu’il en soit, on l’aura compris, constitue  un moment psychologiquement et émotionnellement très important pour la toute jeune présence polonaise dans le secteur. Un document en polonais, que nous traduisons (vide nos illustrations et annexes), en témoigne avec force. Il s’agit d’un tract, écrit par l’organisateur (officiel) de la fête, «Le Comité du Congrès Catholique Polonais en Alsace », un solennel« Appel à tous les travailleurs polonais d’Alsace », pour solliciter leur présence à la manifestation.

   16) Le tableau servira, à peu de jours près, cela a son importance symbolique, pendant soixante ans, l’âge de la retraite, si l’on ose dire. Il est détérioré en partie (vide nos photos et notre courte vidéo) par un départ de feu, heureusement vite maîtrisé, le dimanche 26 août 1990 aux alentours de midi.

   17) Quelle est la raison de ce sinistre ? La réponse, en fin de compte, est émouvante. Plusieurs grands-mères bien polonaises, donc en fichus, des prieuses ferventes, marmonnaient à genoux leurs oraisons en brûlant naturellement leurs cierges offerts à la Vierge. Pour être la plus proche de la sainteté, il fallait, ça va de soi, approcher son cierge le plus possible du portait ; le concours inconscient des petites dames du rosaire vivant alla de sorte qu’un cierge se trouva enfin trop près de l’image, si bien que son carton, très légèrement entoilé, chauffa, chauffa, et s’enflamma ! La « compétition » venait de mal tourner. J’ai récupéré la « Vierge brûlée » un peu avant 18h. Pourtant, il était bien su de tous et toutes que si la Vierge est noire, c’est qu’elle est noircie à cause de la fumée des bougies ! L’emplacement du tableau allait rester vide, quel stigmate ! une année entière, à quelques jours près, de nouveau ; ce spectacle, interrogateur, culpabilisateur, fut le tourment le plus sévère pour ces croyantes, dépassées, affolées par leur méfait, leur enfantillage.

   18) Le 26-08 est la fête de la Vierge noire de Czestochowa : coïncidence… Le 26-08 est aussi le jour de l’élection de l’éphémère Jean-Paul Ier, au pontificat de seulement 33 jours : coïncidence… 

   19) Le chef de chœur de la chorale « Lutnia », Joseph Peplinski, un serviteur si méritant de l’Eglise ! et son épouse fêtaient en ce dimanche 26-08-90 leurs noces de diamant, ou leurs soixante années de mariage, une performance, on en conviendra. Après l’office, a eu lieu, suivant le bon usage, un banquet, réunissant famille et amis, au foyer paroissial attenant à l’Eglise Sts Pierre-et Paul De Staffelfelden-Rossalmend.

   20) Le mariage des « Pep » avait été, soixante ans plus tôt presque jour pour jour, le premier « mariage polonais » célébré en l’église Ste-Barbe de Wittenheim : coïncidence… Premier mariage célébré seulement une dizaine de jours après l’installation de la Vierge noire en ce lieu de culte, et la première messe en polonais qui y a été dite : coïncidence…

   21) Pep, m’a raconté, encore amusé, que les Mines lui avaient accordé une prime sur son salaire pour qu’il se marie à Ste-Barbe, et qui était aussi promise à tous ceux qui en feraient autant. Il est donc clair que la Direction, donc de Retz, souhaitait que rapidement la nouvelle église devienne un sanctuaire où les Polonais auraient leurs habitudes, où ils se sentiraient chez eux.

   22) Nous déjeunions joyeusement, réunis à la même table, le curé Styla, qui avait célébré, son ami Wieslaw Mering, futur évêque de Wloclawek, dit familièrement Wieszek, qui, pendant les vacances d’été assurait des remplacements dans le bassin, le président de « Lutnia » Victor Krzeminski, et moi, « le journalista des Polonais ». C’est là que quelqu’un vint informer Styla de la détérioration du portrait. Il était déconcerté : comment réagir à une circonstance si spéciale? Mais, sous cape, il aurait été prêt à en rire, car ses paroissiennes étaient dérangées dans leurs habitudes. Il nous reste une bonne vidéo de ces instants, qu’on peut visionner en ligne.

   23) J’appris aussi incidemment que pour l’Assomption qui venait d’avoir eu lieu, le président d’alors de la Pologne venait d’allouer au monastère de Czestochowa un don conséquent pour son bon entretien ; le hic, c’était que ce président était le général Jaruzelski, le méchant communiste oppressif à lunettes noires qui neuf ans plus tôt avait imposé l’état de siège pour empêcher le gentil syndicat « Solidarité » de libérer la Pologne, et de lui apporter la prospérité : coïncidence, encore, et encore !

   24) Et si la Vierge brûlée avait signifié là tout de bon qu’elle considérait l’offrande de l’impie comme un blasphème ? On n’en a pas fini de décrypter le sens des coïncidences qui environnent le brûlement de la Vierge noire de l’église Ste-Barbe. Pour un peu, on se croirait dans une nouvelle fantastique du XIXème siècle… Et c’est simplement à Wittenheim, chez nous ou pas loin, oui, oui…

   25) Après un petit temps de flottement, où nous sommes  tous deux songeurs, Styla et moi, chacun de son côté, l’évidence s’impose vite à nous qu’il faut, sans traîner, remplacer le tableau sinistré par un nouveau tableau. Puisqu’il faut changer, Styla, dans une première impulsion, préfèrerait installer une réplique de la version primitive, « nue » sans ornements ajoutés, celle que porte Walesa (mais pas forcément parce qu’il la porte…). Je plaide pour l’autre option, remplacer le tableau à l’identique, rester fidèle à la version la plus diffusée dans les années trente, celle à la Vierge chargée de son apparat de pierres précieuses. Le curé se laisse convaincre, de choisir le conservatisme, et dès le lendemain, je lui fournis les documents qui lui sont nécessaires pour passer commande, en Pologne, de la nouvelle copie. On trouve assez facilement, là-bas, des peintres qui peignent « de la vierge au kilomètre », à longueur de journée, et qui en vivent.

   26) La deuxième Vierge noire polonaise entre en service à Ste-Barbe dans les premiers jours de septembre 1991. Sans cérémonie, sans tambours ni trompettes. C’est Annabelle Wersinger, au retour de son excursion habituelle en bus de la seconde quinzaine d’août en Pologne, qui rapporte le nouveau tableau de Cracovie. J’accompagne Bella chez les sœurs à quelques pas de la « Barbakan », vestige touristique d’une tour médiévale, où nous prenons livraison de l’objet, sans rencontrer le copiste.

   27) D’après le formulaire d’autorisation d’exportation de la marchandise, celui-ci s’appelle Andrzej Darowski, né le 19-02-32, artiste-peintre à Cracovie, installé au 10/2 rue Bracka. Contrairement à la version primitive, son œuvre est une vraie hst, c’est-à-dire une huile sur toile, au format normalisé de 30P (= paysage, dans le langage spécialisé du métier), qui équivaut à 92X65cm, sans le cadre bien sûr. Cependant, on ne connaît ni le prix, ni le payeur : ça, c’était l’affaire de Styla, et je n’ai pas voulu y fourrer mon nez, par principe de discrétion en matière financière, le même que j’ai toujours observé en particulier à l’égard de Bella.

   28) Et hop, je me retrouve avec la Vierge sous le bras, je dors à côté d’elle dans le bus, je suis son gardien. C’est fendard, ça, comme situation : depuis toujours elle me protège, et à cet instant, c’est moi, on dirait, qui la protège…

   29) J’assure également, tant qu’à faire, la garde des costumes folkloriques « kontusz » (costume de cour de l’ancienne république nobiliaire) que l’ami Frédéric Krzeminski, au nom du groupe « Aigle blanc », vient d’acheter d’occasion, et dont Bella, incontournable pour rendre service à chacun au nom de la bonne cause polonaise, assure aussi l’acheminement à bon port.

   30) Voici ma traduction de l’invitation de l’Assomption 1930 intitulée « Odezwa » :

« Appel à tous les travailleurs polonais en Alsace / Compatriotes !

   Sur les grands domaines miniers de la potasse d’Alsace, au milieu de foyers polonais, dans la colonie « Théodore », a été construite une église, où, le 15 août 1930, pour le dixième anniversaire du « MIRACLE DE LA VISTULE », sera pour la première fois célébrée une messe polonaise.

   En ce jour du souvenir pour l’émigration, y sera introduit un tableau de la Sainte Vierge de Czestochowa, Reine de la Couronne de Pologne, protectrice du peuple polonais à (de) l’étranger, qui sera un souvenir permanent des chaleureux sentiments et de l’attachement de l’émigration à la foi polonaise et à la langue de ses pères.

   Compatriotes !

   Ce tableau, c’est nous qui l’avons acheté, travailleurs polonais, avec de l’argent durement gagné, par un labeur pénible.

   Compatriotes !

   Soyez présents aux festivités de ce jour, tous : les hommes, les femmes, la jeunesse, et les enfants.

    Que personne ne manque à ces grandes manifestations ouvrières !

   Compatriotes !

   La journée du 15 août , c’est notre fête ouvrière en Alsace !

                         Le Comité du Congrès Catholique Polonais en Alsace.

   PROGRAMME

de la fête du 15 août 1930.

   A 9h30 le matin, transfert du tableau de la Sainte-Vierge de Czestochowa de la colonie « Anna » à l’église paroissiale de Wittenheim.

   A 11h messe solennelle célébrée par le Recteur Lagoda de Paris ; l’homélie sera prononcée par le curé-doyen Rogaczewski.

   A 2h30 l’après-midi, arrivée de Son Excellence Monseigneur Ruch à l’église paroissiale, où le dignitaire de l’Eglise procédera à la bénédiction du tableau, en présence du clergé de l’Est de la France, des autorités polonaises, des représentants de la presse, des représentants des associations. L’homélie sera prononcée par le curé Nowicki. A3h de l’après-midi procession avec le tableau de la Sainte-Vierge jusqu’à l’église paroissiale de la colonie « Théodore ».

   A 4h, célébration solennelle devant l’autel en plein air dans la colonie « Théodore » par SE Mgr Ruch, l’homélie sera prononcée par le Recteur Lagoda de Paris, et introduction du tableau dans la chapelle polonaise.

   A 6h, rassemblement à la salle paroissiale de Wittenheim, où seront prononcées des allocutions par M. Brejski, éditeur du « Wiarus Polski » (ndt : «Le Brave »), et M. Kwiatkowski, rédacteur du « Narodowiec » (ndt : « Le National »).

   Résolutions.

   A 7h, la section théâtrale de l’association « Oswiata » (« Les Lumières ») de Wittenheim, dans la même salle paroissiale à Wittenheim, sous la direction de M. Ignaczak, représentera le drame religieux en quatre actes intitulé « Hermenegilda », de l’époque des premiers siècles de la chrétienté. »

   31) Illustrations : (photos a, b, e, f, g = photos de nsz = nicole szulc, mon ex-épouse, dans doc fsz)

  1. a) le tableau primitif, une reproduction sur fragile papier, après avoir été endommagé par les flammes, sur fond d’église Ste-Barbe;
  2. b) un second cliché du même : on voit bien qu’on ne pouvait plus restaurer cet objet, il était trop abîmé ;
  3. c) « Odezwa » de l’Assomption 1930 (=invitation à l’installation du tableau de la Vierge noire) ;
  4. d) mon compte-rendu des noces de diamant des Peplinski, paru dans « L’Alsace » du mardi 28-08-90.
  5. e) présentation du 2ème tableau, par mes soins, en décembre 91, sur l’escalier de la sacristie de l’église Ste-Barbe ; on a jugé l’œuvre plus facile à photographier à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’église, redoutablement sombre à l’endroit voulu.
  6. f) le deuxième tableau, ou copie-Darowski, installé dans sa niche romane ; il faut remarquer à droite l’ex-voto consacré à la mémoire de l’abbé Krupinski, assassiné au camp de Dachau.
  7. g) le deuxième tableau, cette fois considéré dans l’ensemble de son autel ; de nouveau, à droite, on doit remarquer l’ex-voto-Krupinski.

   32) Terminé de rédiger par fsz, le 17-05-20, jour anniversaire de la mort de mon grand-père Félix, et fête de mon cousin-filleul Pascal ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).

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