e-mémpol XV – Les Polonais à Wittenheim

L’association polonaise de la cité Fernand-Anna Oswiata

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  1) Henri Zuber, ingénieur des MDPA à la division de Staffelfelden- Marie-Louise avant-guerre, a cru pouvoir dire fin 1934, en conférence à la Société industrielle de Mulhouse, que les Polonais immigrés récents à l’époque aimaient à s’assembler en de multiples associations. Il me semble juste d’indiquer que l’adjectif est au moins assez exagéré. Des associations polonaises, dans les potasses, il y en a eu, mais pas tant que ça, quand même !

   2) En l’occurrence, à F68270 Wittenheim, le dispositif associatif polonais de base avant-guerre comporte quatre associations, « Oswiata »( « les Lumières », au sens du XVIIIème siècle) pour la cité Fernand-Anna, la section des Anciens combattants et réservistes à Théodore, à ses débuts, et pour chacune de ces deux grosses « colonies » une chorale paroissiale, « Roza lesna » (« Rose de la forêt ») à Fernand-Anna, et « Dzwon Zygmunta » (« Cloche de Sigismond » ou « Cloche-Sigismond) à l’église Ste-Barbe. Beaucoup-beaucoup plus tard, fin 1981, est venue s’ajouter l’importantissime « Amitié franco-polonaise » ou AFP, sise rue des Mines, alors que les précédentes étaient déjà en fort déclin, en, disons le mot, décomposition.

   3) Jean Checinski, notre ami « sympathiquement connu » pour ses diverses publications, a évoqué l’association « Oswiata » et son drapeau, entre d’autres aspects de l’immigration polonaise, dans un article intitulé « La situation d’un immigré n’est jamais enviable. », qui a paru en 2007, pages 27 à 31, dans le bulletin n°5 de la Société d’histoire de Kingersheim (F68260), organisme dont Jean, notre chercheur local avisé et obstiné, par ailleurs ancien conseiller municipal, est président d’honneur.

   4) Je répercute donc ici un certain nombre des informations que « Janek » (pol : « Jeannot », diminutif de « Jan » fr « Jean ») met à notre disposition, tout en les réordonnant et en les complétant.

   5) « Oswiata » est un des mots-clés du XVIIIème siècle, dans les pays de la vieille Europe civilisée. En français, usuellement, il est traduit dans l’esprit, donc un peu approximativement, par « les Lumières », prises comme métaphore de la connaissance, comme condition de la sagesse, à laquelle ont tendu les plus célèbres philosophes de l’époque. « Oswiata » serait traduit plus littéralement par l’allemand « Aufklärung » ou l’anglais « Entlightment » : elle est une instance qui éclaire, illumine l’esprit, par le bon savoir, d’où découlent les bonnes idées, en particulier politiques, de despotisme éclairé, de monarchie constitutionnelle, de promotion du tiers-état à la citoyenneté, du moins une certaine, une relative citoyenneté.

   6) Par sa vocation d’association catholique d’éducation populaire et de solidarité sociale ouvrière, « Oswiata » se révèle sœur de l’association « Ste-Barbe » de Wittelsheim-Graffenwald.

   7) L’assemblée générale constitutive de « Oswiata », qui compte une centaine de membres, motivés,  se tient le 17 février ou 17 novembre 1924 (les chiffres du mois sur le drapeau sont-ils romains ou arabes ?), en présence, c’est un fait notable, de cadres miniers et ecclésiastiques français. Des statuts sont adoptés. Le Président-fondateur s’appelle Wdowiak ; il est entouré d’un Comité composé de M.M. Ignaczak, Lukaszewski (de Kingersheim), Maruszczak et Ratajczak ; lesdits statuts ne seront légalement déposés que quelques années plus tard.

   8) Dès l’année suivante, en 1925, l’association se dote de son drapeau, de soie et coton, qui, est cérémonieusement consacré en présence de M. Morellet, chef d’Etablissement des Mines, ce qui vaut approbation de la constitution de la structure.

   9) L’objet connaît ensuite une histoire un peu mouvementée. Il aurait été confectionné en Pologne, ce qui lui confère, on s’en doute, un surcroît de valeur sentimentale.  Pendant la guerre, pour éviter qu’il ne soit détruit par l’Occupant, il est d’abord caché par M. Félix Ignaczak dans son grenier, puis par M. Julien Lorens, le moniteur de polonais, à Kruth, chez ses beaux-parents. Cette conduite de résistance passive est risquée, car elle peut être sanctionnée par une déportation en camp.

   10) En 1991, M. François Dziubalski, le dernier adhérent de l’association, qui conservait le drapeau, décède. Sa veuve confie alors la bannière à la Société d’histoire de Kingersheim, c’est-à-dire en fait à Jean Checinski, qui décide de le remettre à l’Ecomusée d’Alsace à Ungersheim, en grande pompe, à presque la fin de l’ère du directeur Marc Grodwohl, à l’occasion de la journée de « Potassie 1 », dédiée à la conservation du patrimoine minier local, le dimanche 12 juin 2005.

   11) L’Ecomusée n’ayant jamais tenu ses promesses de mise en valeur du drapeau, dans les règles de l’art, j’ai demandé, en décembre 18, et obtenu, en janvier 19, sa restitution, et, à cette heure, avec l’accord de Janek et du président de la Société, j’en suis provisoirement le détenteur, jusqu’à ce qu’un avenir muséal adéquat puisse être garanti à cet objet, qui mérite d’être visible pour le public, et, à la fois, protégé contre les méfaits du temps.

   12) L’importance du drapeau, dans la vie du monde, n’est plus à démontrer ; en effet : comment Napoléon évalue-t-il une victoire ? au nombre de drapeaux pris à l’ennemi ; il suffit d’aller voir aux Invalides, pardi !

   13) L’homme fort de l’association aura sans conteste été Félix Ignaczak, qui mérite d’être un peu plus précisément présenté ici, à cause de son parcours atypique, celui d’un homme remuant. Il travaille dès 1911 ! à la mine Joseph-Else de Wittelsheim-Graffenwald. L’expiration de son passeport russe l’oblige à rentrer en Pologne en 1912, mais dès 1914 il revient et travaille aux puits Fernand et Anna, avant d’être fait prisonnier et conduit en Allemagne dès la déclaration de la grande Guerre. Il rentre en Pologne après l’armistice de 1918, et revient en 22 une seconde fois s’installer une seconde fois, avec sa famille, dans la cité Fernand-Anna, devenant une recrue stable pour les Mines.

   14) Pour le mineur polonais lambda, c’est une chance de devenir membre d’Oswiata, car il échappe ainsi à l’isolement socio-culturel, intégré dans une structure qui primordialement se fait fort de créer ou recréer du lien social, et de préserver l’identité polonaise, le sentiment national.

   15) Le rôle joué par Oswiata , quel est-il ? Il consiste à satisfaire le besoin de sociabilité, de convivialité, des gens ; l’association donne une respiration récréative, un allant, à la « kolonia », la cité, par des banquets, des soirées dansantes ; mais elle organise aussi la diffusion culturelle, en particulier de la musique ( surtout folklorique), de la poésie (surtout patriotique), du théâtre amateur (surtout historique, ou comique) ; à la St-Nicolas, à Noël, à Pâques, elle enseigne les bonnes traditions festives aux enfants de ses membres ; on manifeste par ailleurs de la sollicitude à l’égard des malades, on établit même un roulement pour les visiter ; quand un décès survient, on quête pour l’achat d’une couronne mortuaire, et le drapeau ouvre, avec la croix, le cortège funèbre. Au total, c’est un « vivre ensemble » qui est organisé, entretenu, les uns prennent part à la vie des autres, j’ajouterai, au moindre prétexte.

   16) Illustrations :

  1. a) pour le sommaire de ce blog : détail du drapeau de Oswiata ; comment lire les chiffres du mois ? février ou novembre 1924?
  2. b) Jean Checinski (à droite) en conversation amicale avec (+) Zdislaw Krzyzanski, président de la chorale d’expression polonaise « Rossignol forestier », et adjoint au maire de Pulversheim, au « carrefour de la mémoire polonaise n°1 », en juin 2005, à l’écomusée d’Ungersheim. (photo de (+) René Hitter).

   Il sera évidemment question de « Zdiszek » dans notre article particulier sur « sa » chorale, et dans notre évocation de la Vierge noire polonaise de l’église St-Jean de Pulversheim.

  1. c) le drapeau d’Oswiata, côté rouge ;
  2. d) le drapeau d’Oswiata, côté blanc ;
  3. e) Oswiata, photo de groupe de l’association à ses débuts, en 1925.
  4. f) Oswiata, photo de groupe devant l’église Ste-Barbe de Wittenheim, lors des 30 ans de l’association, en 1954 ; on reconnaît en particulier le curé polonais de l’époque, André Lason (auquel un article particulier est consacré sur ce blog).
  5. g) Toutes les illustrations de cet article sont extraites de la documentation de Jean Checinski (ou doc jch), sauf la b), extraite de ma doc à moi (ou doc fsz).

   17) Fait le 29-02-24, année bissextile (le jour où il ne faut pas naître, si on veut avoir son anniversaire tous les ans !), par fsz ; matériel protégé par le droit d’auteur (loi française du 11 mars 1957).

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