e-mémpol XV – Les Polonais à Wittenheim

Chez les anciens combattants Le lieutenant Thadée PIASECKI

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   1) Pour compléter notre étude sur l’association des anciens combattants polonais de Wittenheim, nous proposons ici, à la suite l’un de l’autre, deux textes, illustrés, l’un SUR Thadée Piasecki, l’autre DE Thadée Piasecki. D’abord, donc, une notice biographique de l’intéressé ; et ensuite, une présentation par l’intéressé de la situation des Polonais dans le Bassin potassique des années 50.

   2) Tadeusz (Thadée) Piasecki est né à Varsovie le 20-02-1913, de Jozef Piasecki (1880-1964) et Zofia Piasecka, née Bielicka (1891-1931), et il est mort le 06-12- 1989, à 76 ans. Il repose au cimetière de Bollwiller.

   3) Il embrasse la carrière militaire en Pologne. Lors de l’invasion du pays par Hitler en septembre 1939, il est mobilisé le 27-08-39 dans le 35PP à Bresc sur le Bug ; le 09-09-39, blessé à l’oreille d’un éclat de grenade, il est transporté dans un hôpital près de la frontière roumaine ; du 19-09-39 au 23-11-39, il est prisonnier en Roumanie, s’échappe le 23-11 et rejoint la France, par Marseille, le 06-12-39, au terme d’un  périple compliqué, pour continuer le combat.

   4) En France, il est à la caserne Bessière à Paris du 10-12-39 au 01-01-40 ; du 01-01-40 au au 01-03-40, il est officier au camp de Val André en Bretagne ; du 01-03-40 au 01-04-40, à Coëtquidan (Morbihan) ; à partir du 01-04-40, il est affecté au 1er Régiment d’Infanterie de la 1ère Division de grenadiers polonais en France ; il y commande la 4ème section de la 6ème compagnie du 02-03-40 au 21-06-40 ; le 17-04-40, il part pour le front dans le secteur de Lagarde (Moselle).

   5) Il est fait prisonnier de guerre le 28-06-40 à Luxeuil-les-Bains, et détenu en Autriche. D’abord, il se trouve dans un stalag (camp allemand ordinaire de prisonniers de guerre), où les internés refusent de dire quel est leur grade, car ils sont déjà au courant du massacre de Katyn (près de Smolensk, au printemps 40), sans savoir encore qui en est l’auteur ; garder l’anonymat est dans ces circonstances une attitude défensive qui se comprend ; le second site de détention est un oflag (camp pour officiers) ; sachant ensuite que les responsables de la tuerie de Katyn sont les Soviétiques, Tad consent à communiquer son identité ; précisément, du 28-06-40 au 01-10-40, il est au Fronstalag n°60 à Baccarat (Meurthe et Moselle), sous le numéro 7577 ; du 06-10 au 06-11-40, au stalag 17B à Krems-Gneixendorf, sous le numéro 57807 ; du 06-11-40 au 10-05-45, à l’oflag 17A d’Edelbach, sous le numéro 15369 ; le 10-05-45, il est libéré par les Américains.

   6) Il reprend alors du service comme officier ; du 14-06-45 au 01-12-45, au camp Wpn à Sorgues (Vaucluse) ; du 02-12-45 au 01-01-48, il est au camp de la Courtine (Creuse) ; du 02-01-48 au 28-03-48 au camp de Calais ; le 29-03-48, il est démobilisé.

   7) La famille de notre soldat paie un écrasant tribut à la guerre, puisque, de ses deux frères, Kazimierz (1910-1944) meurt dans l’Insurrection de Varsovie (dès son premier jour) ; et Jerzy (1921-45), le second, perd la vie après internement au camp de Mauthausen (Autriche), vraisemblablement au camp de concentration d’Auschwitz (région de Cracovie) ; de sa fratrie, seule a survécu sa sœur Zofia Halina (1919-2010) ; et son père également a pu échapper à une fin tragique dans le ghetto.

   8) Thadée s’illustre, dans ses fonctions de sous-lieutenant, à Lostroff, minuscule village de la couronne de Dieuze (département français de la Moselle, arrondissement de Sarrebourg ; à Dieuze a d’ailleurs été constitué un cimetière militaire franco-polonais), en vertu de quoi, le 6 janvier 1949, par ordre n° 2128/C du Secrétaire d’Etat (français) aux Forces armées, il est cité à l’Ordre de son régiment (le 1er Régiment de Grenadiers polonais), et décoré de la Croix de Guerre, avec étoile de bronze ; l’autorité militaire motive ainsi sa décision : « Chef excellent, vaillant soldat. Le 16 juin 1940 à Lostroff a tenu avec sa Section la position avancée malgré de fortes attaques ennemies, démontrant un grand courage. »

   9) En outre, dès le 23-12-40, il se voit décerner la Croix de la Bravoure (« Krzyz walecznych ») ; curieusement, on ne comprend trop par quel mystère administratif, le gouvernement polonais en exil à Londres ne l’autorise à la porter que le 07-03-46.

   10) Tad pense rentrer au pays après la guerre pour s’occuper de l’exploitation agricole familiale à Siekierki et Piaseczno, localités proches de la capitale ; mais, en désaccord avec l’orientation politique qui prévaut après la défaite nazie, la Pologne devenant un satellite de l’Union soviétique, il décide, comme la très grosse majorité de ses compatriotes soldats à l’Ouest, de rester en France, ce que le nouveau régime de Varsovie sanctionne ipso facto par la privation de la nationalité polonaise. Et les terres de la famille sont nationalisées dès le 26-10-45 ! Au moment où il doit se construire ici une nouvelle vie, le voilà donc « réfugié apatride », statut qu’il ne quitte qu’avec sa naturalisation française le 19-02-60, notamment sur les instances pressantes de son épouse.

   11) Tad est démobilisé seulement quelques mois après la capitulation allemande, car il a mission de trouver, en relation avec les entreprises, un emploi pour chaque soldat qui retourne « dans le civil » ; c’est ainsi que lui vient l’idée de postuler lui-même aux Potasses d’Alsace. Il intègre l’effectif de l’Entreprise le 8 avril 1948, en qualité de jardinier. Il sera d’abord affecté à Théodore (résidant au foyer des célibataires de la cité Ste-Barbe), puis ira s’installer à Bollwiller, marié (le 15-09-50) à Sabina Lasek (née le 14-02-29, qu’il rencontre au mariage de Félix Dobros, le dirigeant de la chorale paroissiale polonaise de l’église Ste-Barbe «Cloche Sigismond »), et père d’un fils unique, André, ou Andrzej ; il s’occupe de l’entretien du parc du château, où il habite, jusqu’à la vente de celui-ci par l’Entreprise ; il retourne alors à Théodore, vers avril 59, sur un poste d’aide de laboratoire ; et il revient à Bolwiller définitivement en 1983.

   12) Le retour à la vie civile n’empêche pas Thadée de rester en contact avec les questions militaires, en tant que réserviste. Jusqu’en 1948, il est assujetti à l’armée polonaise, puis à l’armée française. Il participe à des périodes d’instruction, comme une de trois semaines en 1954 et en 1956 encore, où on le voit sollicité par « le bureau d’Archives des armées étrangères ». La France ne néglige pas le concours des Polonais de France pour gagner la « guerre froide » qui oppose l’Occident aux pays de l’Est sous régime communiste ; il paraît qu’on est même allé jusqu’à envisager un éventuel débarquement en Pologne ! Il n’est libéré de ces obligations militaires que le 15-04-62.

   13) Cardinal Piazza. Tad est président du PZK (groupement des associations catholiques du secteur Potasses-Mulhouse) en 51 et en 53. C’est en tant que tel qu’il accueille le cardinal, italien, Adeodato Giovanni Piazza (1884-1957), Patriarche de Venise de 35 à 48, puis Secrétaire de la Congrégation consistoriale (avant l’heure, si on veut, Préfet de la Congrégation pour les Evêques) à l’église Ste-Barbe de la cité minière de Wittenheim-Théodore, le 06-10-51 ou 53 ? à 17h, en présence de Mgr Jean-Julien Weber, évêque de Strasbourg (de 45 à 66), et en lien avec le curé polonais Mieczyslaw (« Mietek  pour les intimes », dont bien sûr les Piasecki) Kiernicki, ensuite muté à Lyon, où il est décédé en 1985 (A Ste-Barbe, pour la visite du prélat italien, c’est une curiosité à noter, il ne se trouve pas dans son secteur pastoral propre, qui est celui de Pulversheim).

   14) « Piazeski ». En ce début des années cinquante, le périodique d’Entreprise « La Gazette des Mines » rend compte de cet événement avec une formulation goûteuse : le cardinal, « ambassadeur du pape » (…) « a rendu visite aux minorités polonaises du bassin » ; plus intéressant est encore que le nom du président Thadée soit orthographié francisé, avec simplification de la prononciation, « Piazeski » ; cela appellerait des commentaires, que nous réservons, pour l’instant.

   15) « Courage, patience, prière ».Tant qu’on y est, disons qu’on ne voit ni les tenants ni les aboutissants de la visite, et aussi inopinée, d’une personnalité aussi considérable dans l’organigramme du Vatican. Administrer « la bénédiction du pape », c’est bien, mais c’est maigre ; délivrer « une exhortation au courage, à la patience, à la prière », on ne peut pas dire non plus que cela fasse beaucoup avancer l’émancipation socio-économique des mineurs polonais ; reformulé, le message du cardinal est à peu près celui-ci : bossez, et estimez-vous heureux avec ce que l’on vous donne pour le boulot que vous faites.

   16) Tad et les ACP68270. Dans la « communauté polonaise » d’après-guerre, on ne compte, c’est symptomatique, que trois anciens officiers, deux capitaines, Henryk-Jerzy (Henri-Georges) Szczesniewski (dit Zuraw) et Pawel (Paul) Wisniewski, et un sous-lieutenant, notre Tad, promu lieutenant. Celui-ci est le seul des trois à adhérer à une section d’anciens combattants polonais, en l’occurrence celle de Wittenheim-Théodore. Les deux autres officiers mentionnés s’illustrent quant à eux dans le scoutisme, Wisniewski restant celui dont on se souvient le plus. N’oublions cependant pas qu’un quatrième officier de l’armée polonaise a été fait, à titre posthume, en la personne de la résistante Ludwika (Louise) Zawierta, de Wittelsheim-Langenzug, au grade de sous-lieutenant (voir sur ce blog notre article « Krupinski et Zawierta , 2 résistants polonais, sont morts…… »).

   17) Pour illustrer cet article, nous proposons les photos suivantes :

  1. a) dans le sommaire de ce blog, l’extrait de la « Gazette des Mines » faisant état de l’obtention par Thadée de la Croix de Guerre (doc de Maurice Haffner, ancien adjoint au maire de Wittenheim, historien du site Ste-Barbe-Théodore) ;
  2. b) portrait du jeune soldat au sortir de l’adolescence ;
  3. c) assis en studio, Thadée en uniforme en 1938, à 25 ans ;
  4. d) dans les premiers temps après la guerre, « trois célibataires » de bonne humeur, et bon humour : Thadée, en haut, à droite, avec le capitaine Szczesniewski, surnommé « Zuraw », et le curé polonais de la paroisse Ste-Barbe Debski (il arrive en effet assez couramment qu’un prêtre soit célibataire…) ;
  5. e) enfin, le cardinal Piazza accueilli devant l’église Ste-Barbe ; à sa gauche, partiellement coupé dans le sens de la hauteur,, mgr Jean-Julien Weber, évêque de Strasbourg.

   18) Nous consacrerons un prochain article sur ce blog au fils de Thadée, André, sous le titre « Réussir en Pologne » ; pour donner déjà une idée d’une partie du propos, voici une photo d’André, avec Izabela, son épouse, accueillant Lech Walesa (pour les plus jeunes : leader du syndicat « Solidarité » de 80 à 90, président de la République de Pologne de 90 à 95, prix Nobel de la Paix 83), au réputé restaurant des « Violettes » à Thierenbach-Jungholtz, le dimanche 21-11-21, après une messe franco-polonaise à la basilique voisine. 

   19) Terminé de rédiger par fsz le 12-02-24, avant-veille des 95 ans ans de la veuve de Thadée, Sabine, à qui nous souhaitons à la polonaise « Sto lat ! », c’est-à-dire de vivre centenaire (au moins !) ; je remercie bien chaleureusement André-Andrzej de sa méticuleuse contribution au bon achèvement de cet article, véritable coauteur, supérieurement informé et documenté. (matériel protégé par le droit d’auteur ; loi française du 11 mars 1957).  

Cet article a 2 commentaires

  1. François Blaszczyk

    L’Histoire tragique à créé de sacrés personnages, je découvre leur cheminement et des parcours fabuleux.

    J’ai aussi été très intéressé par le texte écrit par M. Piasecki que tu as traduit. C’est la première fois que je lis un témoignage qui fait état de la difficulté pour les émigrants de vivre leur nostalgie du pays d’origine alors que leurs enfants nés en France se reconnaissent dans le pays hôte en éloignant ainsi le rêve de retour au pays des parents. C’est une situation qui n’est pas étonnante, mais c’est la première fois que je la lis dans un témoignage.

    Bref, toujours de belles découvertes dans Mempol…

  2. Francis Szulc

    Amical merci à toi, François, pour cette contribution.

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