Légende de la photo : une éclatante carte postale, éditée en février 79 par la maison italienne Multigraf, « Lolek » dès ses premiers jours de pontificat, en blanc et rouge, couleurs doublement symboliques, du césarisme papal et de la Pologne. 

    –Texte publié sur mes deux comptes facebook (francis szulc, et mémpol) le vendredi 12 mai 2013.

   «  Demain samedi 13 mai 2023,, on pourra se souvenir de l’attentat contre le pape polonais sur la place St-Pierre, le 13 mai 1981, jour particulier consacré chaque année par l’Eglise catholique à la vénération de Notre Dame de Fatima, et trois jours, en 81, après la première élection de François Mitterrand à la présidence de la République française.

C’est pour nous l’occasion de revisiter une des « connections » particulières de St-Jean-Paul II avec notre secteur de Mulhouse. »

Un pape d’Aoste.

  Le Bassin potassique alsacien,

Mulhouse, et Jean-Paul II.

 1)  Mise en bouche.

   Le mardi 24 décembre 2013, toute une longue matinée, de 8h à 13h, j’ai vendu des boules de Noël décoratives polonaises dans le hall d’entrée de « Super U »-Wittelsheim avec Wladis Labowicz, pour nos deux associations culturelle et sportive, dont nous étions les présidents aux manches retroussées.

    Ma bonne action commerciale terminée, j’ai remarqué par hasard que le curé Frédéric Gros, très récent arrivé à Wittelsheim, et dont je venais à peine de faire la connaissance quelques semaines plus tôt, était en train de déjeuner à la cafétéria du magasin en tête- à- tête avec son collègue, sensiblement son aîné,  le prêtre coopérateur de la communauté de paroisses locales Louis Schneider, avec qui je venais aussi d’avoir un tout premier petit contact depuis très peu.

   Ils étaient sur mon chemin, naturellement je suis allé les saluer et ai échangé avec eux quelques phrases de courtoisie, assez peu pour que leur repas n’ait pas le temps de refroidir. Gros m’a demandé comment je prévoyais de passer la veillée de Noël, et m’a invité à passer au presbytère pour une collation, qui constituait une innovation, après les prières de l’après-midi en l’église St-Michel. J’ai été très surpris et touché de sa question. Quelqu’un qui s’intéresse au sort d’autrui, surtout des solitaires, ce n’est pas tous les jours qu’on en croise, surtout par les temps qui courent, de terrible appauvrissement de la vie sociale et de la sollicitude spontanée.

   Des décorations importées de la Nativité à mes origines polonaises, il n’y a qu’un pas vite franchi. Quand Schneider apprend cette caractéristique de mon identité, il me rive mon clou tout de go en me déclarant, matois, sûr de son « petit » effet : « Moi, j’ai rencontré Jean-Paul II en personne, à Aoste. » Evidemment, il pique ma curiosité au plus vif, et je lui fais promettre de me raconter cette extraordinaire circonstance par le menu. Rendez-vous de principe est pris en ce sens, honoré le mardi 12 août 2014 à 9h30. Le prêtre me reçoit souriant, avec bonhomie, sans faire l’important, … ce à quoi je m’attendais. En trente-cinq minutes, il raconte.

2)  Près de la frontière franco-italienne.

   Affecté à St-Luc, à la «  ZUP » (« Zone d’urbanisation prioritaire », dans le jargon technocratique, avec ses hauts immeubles à grande contenance, due à l’entreprenant  maire de la cité du Bollwerk (+) Emile Muller), aumônier de l’ « ACO » ( « Action catholique ouvrière ») de 1980 à 89, puis de l’ACE  (branche des enfants), Schneider, en compagnie de son collègue Louis Haag, maintenant à la Maison des oblats de Strasbourg-Robertsau, conduisait pour un stage estival de  haute montagne une dizaine mixte de jeunes de la région mulhousienne de dix-huit-vingt ans dans les Alpes. Le groupe avait son gîte à Val Savarenche. On se trouvait donc du côté italien, à une dizaine de kilomètres de la frontière française, à environ 2700m d’altitude, dans le massif du Gran Paradiso (« grand paradis ») incluant le val d’Aoste,  très célèbre, internationalement, comme chacun sait, pour sa production locale de charcuterie. Jean-Paul II se trouvait discrètement au même endroit, où il répondait à l’invitation d’un prélat, évêque ou cardinal, qui devait disposer dans les parages d’une demeure familiale. La presse des lieux s’était déjà faite écho de ce séjour. On connaît l’attirance du pape polonais pour la montagne. Ses photos en tenue blanche de skieur quelque peu astronautique ont fait le tour des magazines du monde entier. Sous ces auspices, l’impensable s’est produit.

3)  « Oh merde, le pape ! »

   Le 17 juillet 1989 vers 15h, nos Mulhousiens effectuaient une marche dite « d’entraînement » après pique-nique, sur un sentier au bord duquel étaient assis sur des pliants un couple accompagné d’un homme d’âge déjà assez prononcé. Arrivé presqu’à hauteur du trio, Schneider réalise subitement l’énormité de la situation, et lui échappe un sonore : « Oh merde, le pape ! ». Aucun doute n’était permis. A proximité se trouvait un hélicoptère blanc, comme par hasard, et des gardes du corps qui gentiment interdisaient de prendre des photos. C’était bien lui, et nul sosie, le pasteur de plus d’un milliard d’âmes dans le monde. Le souverain pontife était « déguisé » en civil, déboutonné comme il appréciait : en baskets, en culotte de golf, en blouson et casquette beiges. La conversation s’engage, en français. Le pape plaisantant demande : « Est-ce qu’il pleut toujours à Mulhouse ? » Il se souvenait d’avoir célébré en octobre 1988 au stade de l’Ill une messe  sous une pluie battante et ininterrompue, qui assombrissait beaucoup la fin d’après-midi, mais qui n’avait pas découragé l’affluence. Il parle plus particulièrement avec la jeune Luce Wersinger, d’origine polonaise, du Drouot, un des quartiers de vocation militaire de Mulhouse : que sait-elle de la Pologne, de ses ancêtres, etc ?  Maigres réponses. « Bon, on va vous laisser. »

4)  Pas de jambon, mais du chocolat.

   Le saint père offre aux jeunes une tablette de chocolat noir légèrement entamée, et leur dit : « Que le Christ soit toujours votre route. » Ils s’éloignent déjà un peu. Il les rappelle, et leur donne une seconde tablette du même chocolat noir, mais entière cette fois. Avec le grand Cracovien, dans une formulation automatiquement métaphorique, une sorte de don d’expression, l’humain et le divin sont imbriqués, terre et ciel se joignent à la bonne ligne d’horizon.

5)  « Foutre la paix ».

   Le retour en Alsace du séjour alpin est prévu pour le dimanche suivant. Au bulletin d’informations radiophoniques de 17h, il est notamment question de la polémique autour de l’idée d’implanter au camp de concentration d’Auschwitz (région de Cracovie) un carmel, affaire délicate pour le Saint-Siège. Sébastien, un des jeunes, lance : « Ils ne peuvent pas lui foutre la paix, au pape, il est en vacances ! »

      Schneider s’amuse à rapporter avec délices cette parole, dont il tire l’enseignement que l’expérience de la semaine, la rencontre aussi inattendue qu’inoubliable d’un homme simple, accueillant, ouvert, avait changé le regard du groupe sur une des sommités du monde.

   Rudi Vigneron a donné un écho de cette historiette dans « L’ami du peuple » ; l’un des deux grands quotidiens régionaux un entrefilet de quelques lignes. Merci, c’est trop de grâce…

   Ma conclusion à moi revient à celle du prêtre devisant. A travers tout ce que j’ai entendu, lu, sur le comportement privé de Wojtyla, revient toujours que peut-être la plus grande qualité de cet homme, et maintenant de ce saint, aura été d’être un pape « qui ne se prend pas pour le Pape. »

6)  Savoir rester à sa place.

   Une fois n’est pas coutume, il faut reconnaître à nos Polonais du Bassin potassique alsacien et de Mulhouse qu’ils l’ont laissé tranquille, Jean-Paul II, et pendant tout son très long pontificat, tout au contraire de ce chef de chœur de Wittenheim-Théodore qui ne connaissait pas encore un cardinal polonais en visite depuis dix minutes qu’il en était déjà à lui raconter ses piqures quotidiennes contre le diabète : pitoyable indécence… J’ai honte. Ils n’ont pas cherché à se faire remarquer de l’homme en aube blanche, à faire les malins, les intéressants, comme ils l’ont tant de fois fait, inconscients de leur conduite déplacée, impertinente, et risible, ou déplorable, cela revient au même. Hormis l’inopiné « cas Schneider » ici relaté, seules trois personnes de la communauté d’origine polonaise du secteur ont vu Jean-Paul II de très près, ou lui ont parlé, Patrick Cybulski, de Wittelsheim, qui a remis en costume de mineur un présent au pontife pendant la fameuse messe de Mulhouse de 88 (on a une bonne photo), et (+) l’intelligent illuminé mulhousien moustachu comme cela ne se fait plus Henryk Szczesniewski, qui me fait honte aussi, mais que j’aime beaucoup en même temps, reçu par « piston » en audience privée au Vatican en 86, pour montrer au pape ses recherches, hypothèses et « découvertes » dans le domaine de l’astronomie et autour naturellement du Polonais Copernic, audience dont Dziwisz, le secrétaire particulier, a été témoin (on a des photos). On reviendra en temps voulu plus précisément sur ces deux occurrences mémorables comme celle de Schneider. Autrement, la seule chose à ajouter est que certains groupes de piété et patriotisme de notre secteur se sont constitués aux occasions pour suivre et participer à certains voyages (qui n’ont pas manqué…) du saint père en France ou en Pologne, les participants restant dignement et convenablement anonymes dans les foules, à distance sans reproche. Savoir rester à sa place est une grande qualité : un gros bon point est à octroyer cette fois, trop rarement, à nos Polaks du coin. Reste en troisième le cas très particulier de « Jacek ».

7)  « Jacek », le conatif.

   Celui qui incontestablement a de loin le mieux connu et le plus personnellement côtoyé le pape JP II est son compatriote le curé (+) Jacek (diminutif affectueux de « Hyacinthe ») Styla, de Wittenheim-Ste-Barbe-Théodore (14 rue Foch). Ils sont tous deux natifs de la même petite localité de la banlieue de Cracovie Wadowice. Jacek enfant a déjà assisté à l’ordination sacerdotale du jeune, puis grand, Karol, le 01-11-46 (Toussaint prophétique ? De quoi ?). Puis ils se sont relativement fréquentés dans la période ou Wojtyla n’était encore qu’archevêque. J’en dirai plus dans ma future notice biographique sur Styla, un drôle de numéro dans son genre, celui-là, décapant et réjouissant mine de rien, ce qui me le rend particulièrement attachant.

8)  La panne sèche…frôlée ?

    Pour faire exception à la règle, Il n’y a eu qu’une épicière bien connue de Wittenheim-Fernand-Anna qui s’égosillait avec ses habituelles stridences assourdissantes reconnaissables entre mille, sur tous les toits, c’était sa manière de garder les secrets, que c’était Elle, Seule, qui avait procuré gracieusement tout le vin, quelles admirables générosité et privilège, que le pape buvait à chacune de ses messes en Pologne en 1983. « Vanité des vanités, tout n’est que vanité… » rappelle au XVIIème siècle mon cher militaire Louis de Pontis pour derniers mots de ses mémoires ; elle, la vanité, et j’ajouterais cette vache, est en tout cas la première plaie polonaise. Et puis, vous vous rendez quand même compte ? Sans notre épicière locale, les eucharisties papales étaient menacées de tomber en panne sèche, tant il est certain que l’Eglise de Pologne n’avait pas d’autre vin de messe sous la main, vu l’indigence générale. Heureusement que Dieu nous a donné cette salvatrice merveilleuse, pour le plus précieux service du pape. Et heureusement que, comme on dit, le ridicule ne tue pas.

9)  Message-surprise du Vatican.

   Reste moi, minime dans le lot, qui, à la Ste-Barbe 90, le 4 décembre, à l’occasion de la parution de mon premier cahier de mémoires polonais, sur le folklore, ses place et trace, ai eu, par discrète recommandation aussi, et à mon insu pour comble, l’honneur de recevoir un message écrit de félicitations et d’encouragements du même Stanislas Dziwisz, ensuite grand avocat de la béatification ( le 01-05-11) puis de la canonisation ( le 27-04-14) de son ancien maître sous Benoît XVI et avec la bénédiction de ce dernier. L’ancien jeune prêtre est devenu par la logique de « papa-Ratzi » cardinal-archevêque de Cracovie, Wojtyla lui-même ayant assumé cette charge jusqu’au 16 octobre 78, ayant eu pour successeur François Macharski, émérite depuis 2005, plutôt un intellectuel d’apparence raide et froide, bien dans le style distant de sa métropole, qui a quand même présidé une session du traditionnel pèlerinage des Polonais de l’Est à la basilique Notre-Dame de Thierenbach ( commune de 68500 Jungholtz), qui a lieu chaque année, sauf une, le lundi de Pentecôte. Le furtif passage de cette laconique éminence, le 27-05-96, n’a pas laissé de souvenir marquant ; mais on a quand même de la circonstance une bonne photo d’Alfred Kaluzinski.

10)         A l’archevêché de Strasbourg.

   Enfin, je ne saurais, de cœur réjoui et réchauffé, finir cette évocation de vacances détendues sans rappeler ce bel après-midi d’été où Michèle Cardoso, depuis longtemps « inamovible » secrétaire particulière de l’archevêque de Strasbourg, elle en a servi plusieurs à la suite, m’a fait la fleur délicieuse à force de solide amitié forgée par les affinités spontanées, le temps, et les expériences, de me faire visiter à l’archevêché, rue Brûlée, la chambre à coucher où a dormi Jean-Paul II, qui a fait remarquer qu’il avait vieilli de dix ans depuis son élection et qu’il fallait savoir compter avec. Et, elle m’a mené aussi à la chapelle, où, en comité très restreint et choisi, le souverain pontife a prié, pendant son voyage dans l’est de la France. C’était encore du temps du très regretté Mgr Charles-Amarin Brand (1920-2013), en particulier alors président des « Comece » (« Conférences épiscopales européennes »). Grâce à Michèle, cet ange blond toujours consolateur, pertinent et influent, pour appuyer amicalement Annabelle Wersinger, la présidente d’ « Amitié franco-polonaise » de Wittenheim, avec qui je coopérais on peut dire très étroitement,  j’ai eu la grande chance il y a longtemps d’avoir avec le doux dignitaire alsacien plusieurs conversations longues et approfondies, dans son bureau personnel, accessoirement sur le clergé d’origine polonaise dans le diocèse et essentiellement sur des questions d’aide caritative de l’Alsace à la Pologne (l’Archevêché s’est toujours montré généreux, parfois jusqu’à me méduser), dans le besoin douloureux des dernières années du communisme et celles de première pagaille, qui plus est tapageuse, qui ont suivi l’ effondrement rouge, et qu’on ne peut juger que sévèrement, car pagaille était fille d’égoïsme (le contraire même de la fameuse « solidarité » affichée, haut et fort, et politiquement), comme toujours, comme partout, fille du péché perpétuel, de la nature humaine déchue, et irréformable, ici bas.

   Voici transmise, avec commentaires et appréciations, l’anecdote du « pape d’Aoste », grâce à l’abbé Louis Schneider à qui nous laissons avec plaisir le dernier mot, très pertinent et beau : « Transmettre est un acte de vie. » Chaleureux merci à lui pour son concours.

      Commencé le vendredi 15 août 2014, jour de l’Assomption, soixante-dixième anniversaire du Débarquement allié en Provence ; fini le lundi 18 août, jour anniversaire de la naissance de ma mère (1922-2007). fsz

    11)   A une consonne près !

    Additif du 12-05-23 : je l’ai appris depuis le premier établissement de ce texte, au nombre des Polonais du Bassin potassique ayant rencontré le pape jp2, il convient d’ajouter deux Wojdyla, de Staffelfelden-Rossalmend, puis Staff-village, le père, Joseph, président de la chorale « Lutnia » jusqu’à son décès en avril 1968, et le fils, Etienne, mon oncle par alliance, qui approche de ses 91 ans, en septembre prochain. Ils ont plusieurs fois conversé avec l’illustre, à Cracovie, alors qu’il était évêque, puis archevêque, dans les années soixante ; enfin, c’est surtout le père qui parlait, et le fils qui écoutait, et à qui le futur pape s’adressait sans problème en français (sans nécessité d’ailleurs, puisqu’Etienne appartient à une génération qui parlait encore couramment le polonais ; mais l’éminentissime Cracovien aimait déjà exercer ses bonnes dispositions pour les langues…) ; enfin, il n’échappe à personne qu’entre les deux patronymes, Wojdyla, de Staff, et Wojtyla, de Cracovie-Rome, la différence n’est que d’une seule consonne,  une sourde pour une sonore ; à une consonne près, les paronymes seraient devenus homonymes, quelle « promotion » cela aurait été, quand même ! autre paronyme : on a eu aussi, dans le Bassin, des Wojdylak : cette fois, il s’agit d’une consonne finale en plus ; à nos intéressés Wojdyla locaux, on n’a donc pas peu de fois demandé s’ils étaient de la famille du grand homme ! à commencer par les sœurs polonaises de St-Ludan, dans le Bas-Rhin, chez qui était au surplus hébergé en octobre 78, au moment de l’élection de jp2, un prélat émérite, Mgr Halla, ancien secrétaire du pape, avant l’universellement connu « Don Stanislow » Dziwisz, déjà cité. Mais notre toujours alerte, Etienne, à qui l’humour ne manque pas, me dit : « On n’a pas gagné ce loto-là ! »

   12) Photo de l’abbé Schneider, célébrant la messe, lors de son départ à la retraite (par Sonia Vuillequez, publiée dans « L’Alsace » le 17-10-19) ; ex doc fbk.

___________________________________________________________

   13) A noter : ce « matériel » est protégé par le droit d’auteur, comme d’ailleurs systématiquement tout ce que je publie, ou republie (loi francaise du 11 mars 1957).

———————————————————————————–

Laisser un commentaire